Sommaire :
- Guerre vu par la presse
- Personnages & avatars dans Guerre
- Cascade ou l’Œdipe des bas-fonds.
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Parution du numéro 452 du Bulletin célinien
Sommaire :
- Guerre vu par la presse
- Personnages & avatars dans Guerre
- Cascade ou l’Œdipe des bas-fonds.
Pour le premier numéro de sa revue, Littératures & Cie, Joseph Vebret nous gratifie de deux articles relatifs à la découverte des manuscrits de Céline. Celui signé David Alliot, « Qui a volé Louis-Ferdinand Céline ? », retrace l’étonnante histoire de ces manuscrits inédits qui firent surface l’été dernier. L’autre, « Céline en valises », est dû à Emmanuel Pierrat, conseil du receleur Thibaudat. Certes, il faut savoir gré à celui-ci d’avoir préservé ces trésors et de ne pas avoir cherché à les monnayer. Mais comment ne pas songer à Lucette qui eût été heureuse de savoir que ces manuscrits n’avaient pas disparu et dont l’exploitation commerciale l’aurait aidée à la fin de sa vie ? On pense aussi aux amis céliniens, aujourd’hui disparus, qui n’auront jamais pu lire ces textes que Thibaudat dit détenir depuis une quinzaine d’années alors même qu’il savait leur origine frauduleuse.
Manuscrits volés, et non pas “abandonnés« , puis “confisqués” par la Résistance comme certains se plaisent à l’affirmer aujourd’hui¹. Les mêmes soulignent le piquant paradoxe du “sauvetage” des manuscrits par des résistants mais se font discrets sur la personnalité de Rosembly, se gardant bien d’indiquer qu’avant de devenir un résistant de la onzième heure (emprisonné à la Libération pour pillage d’appartements), il fut un militant actif d’un parti collaborationniste radical. Mais est-ce vraiment lui l’auteur du vol ? Et, si tel est le cas, a-t-il conservé longtemps ces manuscrits ? Ou sont-ce les (vrais) résistants, membres du futur Comité parisien de la Libération, qui se réunissaient dans l’appartement en-dessous de celui de Céline ? Ce qui n’est pas davantage rappelé, c’est que la plainte des ayants droit fut suscitée par le refus catégorique de Thibaudat de restituer ce qui ne lui appartenait pas.
Mieux : il entendait, comme l’un de ses courriels l’atteste, imposer ses conditions : 1) céder les manuscrits à l’IMEC dont il est proche (alors que la BNF, qui dispose déjà d’un important fonds Céline, a la préférence des ayants droit) ; 2) en assurer seul l’édition scientifique. Son intransigeance s’évanouit dès qu’une plainte pour recel et vol fut déposée : il s’exécuta alors sans barguigner et remit les manuscrits à l’OCBC (Office central de lutte contre le trafic des biens culturels). Pierrat affirme que si sa relation avec les ayants droit s’est rapidement dégradée, c’est parce que Véronique Chovin s’est dite effrayée à l’idée que fût révélé l’’antisémitisme de Céline (!). Sollicitée par le BC, elle s’insurge : « En aucune façon je n’ai pu exprimer une telle crainte d’autant plus que je suis résolument contre toute censure et ne chercherai jamais à cacher l’antisémitisme de Céline si de nouveaux documents venaient à apparaître. Les seuls propos que j’ai échangés avec Pierrat traitaient du vol qu’il n’a d’ailleurs jamais cherché à nier (prescrit, m’a-t-il répondu), et du recel qui n’aurait posé aucun problème si nous avions été d’accord. »
Toute la vérité au sujet du vol et de la restitution sera-t-elle un jour révélée ? Thibaudat annonce un livre dans lequel il « promet de tout révéler »³. …Chiche !
• Littératures & Cie, n° 1, 1er semestre 2022, 218 pages.
Notes:
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Parution du n°451 du Bulletin célinien
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Le procès de Nord (1962)
Simone Saintu (1892-1939)
Bardamu au fast-food
En marge de cette parution, une exposition se tient à Paris jusqu’à la mi-juillet à la Galerie Gallimard. Plusieurs feuillets, extraits des liasses des manuscrits retrouvés, y sont présentés, dont le manuscrit de Guerre, particulièrement mis en valeur. Des documents plus intimes (lettres, cartes postales, tirages d’époque, portraits,…), issus des archives de l’écrivain, sont présentés. Cette documentation apporte un éclairage sur les sources biographiques de l’œuvre, en particulier sur les liens entre Louis Destouches et ses parents, sur sa formation militaire à Rambouillet et sur sa convalescence de blessé de guerre à Hazebrouck et au Val-de-Grâce. Les médailles militaires du maréchal des logis sont exposées, ainsi que le journal de marche de son régiment (conservé par le Service historique de la Défense), et le livret matricule (prêté par les Archives de Paris). L’ensemble est complété par des documents d’histoire éditoriale provenant des archives des Éditions Gallimard et des Éditions Denoël. En cette année du 90e anniversaire de la parution de Voyage au bout de la nuit, toute l’œuvre célinienne est ainsi à nouveau sur le devant de la scène littéraire.
• Louis-Ferdinand CÉLINE, Guerre, Gallimard, coll. “Blanche”, 2022, 192 p. Édition établie par Pascal Fouché ; avant-propos de François Gibault.
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Parution des numéros 449 et 450 du Bulletin célinien
N°449:
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Entretien avec Damian Catani –
Le Céline de Damian Catani –
Dr Destouches versus Dr Ichok. Retour sur une rivalité médicale.
Suite à la parution de Céline à hue et à dia, un ami m’écrit qu’il n’apprécie guère que l’on prenne D’un château l’autre pour une œuvre historique. « Les malheureux exilés de Sigmaringen ne méritaient pas cela, et ces sarcasmes à leurs dépens me chagrinent », ajoute-t-il. Il n’est pas le seul. À la différence d’un Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau se sentit, lui, franchement offensé par ce livre qu’il considérait comme une trahison. C’est que celui qu’on appelait « PAC » avait l’esprit clanique et réagissait comme tel. Céline, lui, se voulait libre et n’entendait pas être assimilé aux journalistes de la presse collabo qui, contrairement à lui, étaient rémunérés et soumis à la censure allemande. D’un autre côté, nombreux furent les témoins de l’époque à dire que, malgré ses outrances et affabulations, Céline est le seul à avoir restitué la vérité de ce que fut le chaudron de Sigmaringen. La déception de Cousteau fut à la mesure de l’admiration qu’il portait auparavant au pamphlétaire. En mars 1957, dans le premier numéro de la revue de son ami Coston, il rappelle que Céline est « le plus grand polémiste de l’immédiate avant-guerre ». Mais trois mois plus tard paraît D’un château l’autre, précédé dans la presse de la fameuse interview à L’Express, qui va susciter l’ire de PAC. Au point de lui consacrer, en quelques semaines, pas moins de trois articles. Le premier paraît le 20 juin dans l’hebdomadaire Rivarol sous le titre « M. Céline rallie le fumier (doré) du système ». Le seul fait qu’il ait accordé un entretien à L’Express, dirigé par Schreiber et Giroud-Gourdji, le hérisse, et plus encore le fait que Céline renie, selon lui, ce qu’il écrivit jadis dans ses pamphlets.
Dans la revue Lectures françaises, il remet le couvert, pratiquant la satire avec un art consommé. Parodiant le titre du roman qui marque le grand retour de Céline sur la scène littéraire, il porte l’estocade, le 11 juillet, avec un brûlot titré « D’un râtelier l’autre ». Son goût de la parodie y fait merveille. Cet article vient d’être repris dans une anthologie des écrits journalistiques de Cousteau. Bien entendu, Céline ne laissera pas ces attaques sans réponse : il y répliquera dès son roman suivant, Nord, précisant qu’il n’avait pas besoin d’autres haineux, ceux de son clan lui suffisant. PAC y est cité une dizaine de fois. Idem dans Rigodon (posthume), où il se voit traité d’employé de la Propagandastaffel, et de « bourrique » aussi enragée que Sartre. Toutes ces querelles appartiennent au passé. Ce qui importe désormais c’est le talent. Et, s’il n’atteignait pas, loin s’en faut, le génie de Céline, Cousteau n’était pas dépourvu de savoir-faire. Dans un style bien différent, ce prince de la litote était un sacré polémiste. Qu’il se soit, lui aussi, fourvoyé ne change rien à l’affaire. Depuis qu’il est à la retraite, son fils, cardiologue émérite, a entrepris de publier sa biographie et différents inédits, dont son journal de prison, qui constitue un document exceptionnel. Reste à rééditer Les Lois de l’hospitalité, sans doute son meilleur livre. Il n’a jamais été republié depuis sa parution, l’année même où parut D’un château l’autre. Cousteau mourut prématurément l’année suivante, victime d’un cancer qui suscita, il faut bien en convenir, les sarcasmes malvenus de Céline dans Rigodon. Ce qui lui vaudra d’être vilipendé post-mortem par l’un des amis de Cousteau lorsque ce livre fut réédité en Pléiade¹.
• Pierre-Antoine COUSTEAU, Portraits et entrevues [textes réunis et présentés par Jean-Pierre Cousteau], préface de Pierre-Alexandre Bouclay , Via Romana, 2022, 410 p. (29 €)
N°450:
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Woinville, 22 septembre 1914
Les affabulations de Marc-Édouard Nabe
Bibliographies
Entretien avec Jean Guenot (3e partie)
Céline sauvé par ses pamphlets ? Telle est la thèse hétérodoxe d’un prêtre catholique, docteur en philosophie. Ils sauvent, selon lui, l’œuvre célinienne « de la banalisation, de l’embourgeoisement, bref du “classicisme” ». …Comme si cette œuvre avait besoin de ça ! Jamais les lettrés ne risqueront de la trouver banale ou conformiste. Ni même classique au sens où l’entend l’auteur. Et Céline n’a aucunement besoin du scandale pour demeurer un auteur vivant, comme l’a récemment montré l’écho suscité par la découverte des manuscrits inédits. Le scandale suscité par ses écrits polémiques aurait plutôt pour effet d’écarter de lui de nombreux lecteurs. Ce scandale, l’auteur ne craint pas de l’affronter, rendant compte, de manière probe, de la teneur des “pamphlets”. (Pas tous. Mea culpa n’est pas pris en compte, ce qui est dommage car il s’y trouve un passage qui plairait au philosophe chrétien.) À juste titre, il estime Bagatelles supérieur aux deux suivants, appréciant notamment l’épisode à l’hôpital de Leningrad, « absolument hilarant ». D’une manière générale, il estime que ce livre, en beaucoup d’endroits, est « un ouvrage intensément drôle, qui fait hurler de rire son lecteur. » Commentaire audacieux alors que certains s’attachent aujourd’hui à culpabiliser ceux qui osent rire à la lecture de ce brûlot. À propos de L’École des cadavres, l’auteur rappelle qu’il faut se garder de verser dans l’anachronisme et rappelle que le livre a été publié en novembre 1938 : « La France n’est nullement en guerre contre l’Allemagne, encore moins envahie par les Allemands. » Et d’ajouter que ce pamphlet n’est pas un livre « collaborationniste ». Mais sait-il que, quatre ans plus tard, Céline le revendiquera comme étant « collaborateur (avant le mot) » ? Quant aux Beaux draps, il écrit que ce livre est « beaucoup plus lisible et intéressant » que le précédent. L’auteur commet, en revanche, un contresens lorsqu’il estime que Céline se contredit, ayant d’abord proclamé, rappelle-t-il, son intention de ne jamais « s’engager ». Si le pamphlétaire affirme dans Bagatelles qu’il n’a, en effet, jamais pris parti pour tel ou tel, bref qu’il n’a voulu être inféodé à personne, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’ait pas pris position. Lorsque les Allemands confisquent son or en Hollande, il écrit à Brinon : « J’espère que l’on voudra bien ne pas me “punir” d’avoir été partisan. »
L’auteur n’est pas un célinien patenté. Ainsi n’apprécie-t-il guère, dans la trilogie allemande, les passages savoureux où Céline évoque sa vie à Meudon. Il assure aussi que, même lorsqu’on l’apprécie, Nord est « un peu longuet » (!). En le lisant, on comprend que ses goûts l’orientent davantage vers des écrivains, également sulfureux, mais plus conventionnels. Il a devancé le reproche qu’on pourrait lui adresser en rappelant que ces auteurs – également traités dans son livre –, pour critiquables qu’ils soient, n’ont jamais assassiné personne. Et d’ajouter ceci qui ne manque pas de force : « Quand je pense que de grands massacreurs comme Danton et Robespierre possèdent respectivement une vingtaine de rues à leur nom en France ; quand je songe qu’un archi-criminel scandaleux comme Lénine est gratifié de près de quatre-vingt-dix rues, toujours en France, je me dis que parler de Drumont, de Barrès, ou de Maurras, est vraiment permis aux honnêtes gens¹. »
• Grégoire CELIER, Le XIXe parallèle (Flâneries littéraires hors des sentiers battus), Via Romana, 2022, 348 p.
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Parution du n°448 du Bulletin Célinien
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Gianni Celati nous a quittés
Entretien avec Jean Guenot (II)
Un professeur suisse nous fait relire Bagatelles
Oscar Rosembly (1909-1990)
Rosembly dans Gringoire
Mais c’est aux prisons françaises de l’épuration qu’un historien, Pierre-Denis Boudriot, vient de consacrer un livre d’autant plus passionnant que le sujet n’a jamais été traité auparavant. Cette plongée dans le monde carcéral de l’immédiate après-guerre est basée sur les nombreux témoignages de condamnés politiques. Aussi retrouve-t-on dans ce livre des personnages connus tels ceux déjà cités mais aussi Ralph Soupault, Lucien Combelle, Claude Jamet et d’autres qui payèrent parfois très cher leur engagement. L’auteur s’est également appuyé, ce qui est plus rare, sur les nombreuses notes et circulaires de l’administration pénitentiaire relatives aux maisons centrales et à leurs prisonniers. L’exceptionnelle richesse documentaire de ce fonds donne à cet ouvrage tout son prix. La confrontation de ces deux sources a permis de confirmer la véracité des écrits des épurés, souvent jugés tendancieux car pétris de ressentiment. De manière exhaustive, l’auteur analyse tout ce qui constitue la vie carcérale : le personnel pénitentiaire, la discipline, l’alimentation, le travail, la correspondance et le parloir, les lectures (autorisées), puis l’amnistie et les libérations conditionnelles ou anticipées. Et enfin, sous le titre « Une vie à recommencer », le retour au foyer. Ce sujet a concerné pas moins de 10.000 hommes et 4.000 femmes de toutes conditions sociales, connus ou pas. Un ouvrage dont le réalisme suscite une certaine compassion rétrospective tant les conditions de détention étaient dures à cette époque.
• Pierre-Denis BOUDRIOT, Bagnes & camps de l’épuration française (1944-1954), Auda Isarn [BP 80432, 31004 Toulouse cedex 6], 2021, 239 p., bibliographie et index (20 € franco)
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Parution du n°447 du Bulletin célinien
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Entretien avec Jean Guenot
Céline dans France-Soir (1946-47)
Entretien avec Oskar Hedemann
Suspicion et mauvaise foi. C’est ce qui caractérise l’article de Philippe Roussin sur l’affaire des manuscrits retrouvés. Il tance les ayants droit et loue le receleur. Selon lui, il n’y eut d’ailleurs pas de recel puisqu’il n’y eut pas de vol ! Explication : les manuscrits furent « abandonnés » [sic] par Céline. Spécieux. Tout juste si Roussin ne le suspecte pas d’avoir laissé ouverte la porte de son appartement lorsqu’il s’enfuit le 17 juin 1944. Peu importe que celui-ci ait écrit : « On ne va rien toucher à l’appartement on reviendra… l’on ne peut pas dire que l’on ne reviendra jamais. » Si Céline avait été propriétaire (et non locataire) de l’appartement rue Girardon, Roussin serait-il aussi péremptoire ? Ce qui l’insupporte, c’est que, dans cette affaire, l’écrivain soit considéré comme un volé, et donc une victime. Logique : si l’écrivain n’a pas été volé, les ayants droit n’avaient aucune raison d’ester en justice. Ce que Roussin omet soigneusement de préciser, c’est que si François Gibault et Véronique Chovin ont déposé plainte, c’est parce que Thibaudat refusait obstinément de restituer ces manuscrits qui leur appartiennent. Et entendait décider seul de leur sort : en l’occurrence, en faire don à l’Institut Mémoire de l’Édition (IMEC) dont il est proche. Par ailleurs, le fait que ce recel ait privé Lucette d’une joie certaine ne préoccupe nullement Roussin. Pas davantage le fait qu’à la fin de sa vie, elle avait un pressant besoin d’argent, ayant à rémunérer plusieurs personnes qui s’occupaient d’elle en permanence. Thibaudat, lui, se considérait comme le dépositaire des manuscrits, ce qui l’a autorisé à les garder par devers lui pendant des années. Le conseil des ayants droit, Jérémie Assous, n’a pas tort de dire que le journaliste de Libé est comparable à quelqu’un qui aurait gardé pendant des décennies dans son salon une toile de maître volée. Mais, de toute évidence, le droit moral et patrimonial des héritiers, Roussin n’en a cure. Mieux : il leur fait un procès d’intention en subodorant qu’ils pourraient garder sous le boisseau des textes compromettants, ce qui est saugrenu, connaissant l’objectivité du biographe qu’est Gibault. Roussin, auteur d’un livre sur Céline de 800 pages, a-t-il jamais éprouvé pour l’écrivain « une admiration sans bornes », à l’instar de Taguieff et Duraffour qui nous firent cette confidence dans leur livre obèse ? Sûrement pas. On comprend même, entre les lignes, que Céline ne mérite pas, selon lui, le statut de « plus grand écrivain français du XXe siècle » qu’on lui accorde généralement. Et de citer complaisamment l’appréciation de Houellebecq qui le considère comme « un auteur ridiculement surévalué ». Venant de la part de quelqu’un dont le style est aussi plat qu’une limande, cela prête à sourire. Quant à Roussin, il estime qu’il faut rendre grâce à ceux qui ont “recueilli” ces manuscrits pendant des décennies. Et qu’il faut, en revanche, juger âprement les ayants droit qui ont eu le front de déposer plainte. Il importe surtout de condamner, une fois encore et toujours, les fautes dont Céline s’est rendu coupable. Et de ressasser ad libitum les éléments du procès qui lui est intenté depuis près de 80 ans. C’est qu’il s’agit pour Roussin de conjurer « le mauvais vent d’hiver maurrassien de l’époque ». De la part d’un fonctionnaire, on pouvait s’attendre à davantage de réserve. L’ironie de l’histoire étant que cet article soit publié sur un site internet placé sous l’égide de Maurice Nadeau qui prit fait et cause pour Céline lorsqu’il était exilé.
• Philippe ROUSSIN, « Déshonneur et patrie : retour sur l’affaire Céline », En attendant Nadeau, 15 décembre 2021 [https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/12/15/deshonneur-patrie-affaire-celine].
Marc Laudelout
Céline à hue et à dia
Louis-Ferdinand Céline est un immense écrivain. Il fut aussi antisémite et souhaita la victoire des forces de l’Axe. Deux raisons pour lesquelles il est légitime pour beaucoup de le honnir. Mais ce n’est pas suffisant pour certains qui, ajoutant la diffamation à la détestation, l’accusent d’avoir été un vil délateur, un auxiliaire de la police allemande et un partisan du génocide. Sans apporter aucune preuve formelle et contredisant ainsi les spécialistes intègres de l’écrivain : « Ses pamphlets ne présentent pas d’appel au meurtre explicite » (R. Tettamanzi) ; « Céline n’avait pas voulu l’holocauste et n’en avait pas même été l’involontaire instrument » (F. Gibault) ; « Les mesures que Céline préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination » (H. Godard).
D’autres enfin, pour enfoncer le clou, affirment que c’est un écrivain surévalué. Dans cet ouvrage, Marc Laudelout, éditeur du Bulletin célinien depuis 40 ans, épingle ces anticéliniens rabiques. Il évoque aussi diverses interférences littéraires, dresse le portrait de quelques figures (dont les « céliniens historiques ») et explore quelques faits liés à la biographie ainsi qu’à la réception critique de l’œuvre.
Un volume broché de 412 pages, 25 € frais de port inclus.
Exemplaire dédicacé sur demande.
Mode de règlement : chèque (bancaire ou postal) à l’ordre de M. Laudelout. Ou par virement bancaire sur le compte LCL du Bulletin célinien à Lille : IBAN : FR59 3000 2082 3100 0019 5794 L60 (BIC : CRLYFRPP).
Dans ce cas, il est recommandé de nous adresser un courriel signalant ce virement.
Autre mode de paiement : virement sur le compte du BC à Bruxelles : BE 79 0637 1647 0933 (BIC : GKCCBEBB).
Commander à :
Marc Laudelout
139 rue Saint-Lambert
B. P. 77
BE 1200 Bruxelles
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Parution du numéro 446 du Bulletin célinien
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Classement sans suite pour Thibaudat
Fantasmes et travail éditorial
L.-F. Céline : les derniers secrets
Céline dans France-Soir (1944-1945)
Catherine Rouayrenc nous a quittés
Almansor, ou le secret de famille. Les origines de Lucette Destouches.
L’expression « les années noires » désigne généralement les années d’occupation allemande durant la dernière guerre mondiale. On songe, par exemple, au Journal des années noires, 1940-1944 de Jean Guéhenno. Pour Céline, les années noires correspondent à l’exil, d’abord en Allemagne, puis au Danemark. La fin du bonheur, comme dit l’un de ses biographes. La période la plus éprouvante étant naturellement son arrestation survenue en décembre 1945, suivie d’une détention qui se prolongea jusqu’en janvier 1947. Aussi est-ce bien opportunément que Christophe Malavoy titre son dernier opus, L.-F. Céline. Les Années noires. Superbement illustré par José Correa, cet album s’avère le cadeau idéal à offrir en cette période de fêtes. En tout cas à ceux qui aimeraient en savoir plus sur cette partie de la vie de l’écrivain. Célinien patenté, Malavoy nous avait déjà montré sa bonne connaissance de la biographie avec un livre paru l’année du cinquantenaire de la mort. Ce qui surprendra, voire heurtera, certains, c’est que le texte soit ici rédigé à la première personne, l’auteur empruntant la voix, sinon le style, de Céline.
Cette initiative ne peut que susciter la perplexité puisque l’écrivain a lui-même narré cette partie de sa vie dans les derniers romans. Pourquoi dès lors paraphraser un écrivain de cette envergure en étant, nécessairement, en deçà de l’original ? Sur cette période, on aurait pu, tout aussi bien, choisir des extraits de l’œuvre qui eussent été en harmonie avec l’iconographie. Mais, après un temps d’adaptation, le lecteur se laisse prendre par le flux du récit, Malavoy réussissant, comme le comédien professionnel qu’il est, à endosser le rôle sans jamais verser dans la parodie. Ce qui est notable, c’est l’absence d’erreur factuelle. Lorsque c’est le cas, c’est à la suite de céliniens éminents. Ainsi, Céline n’a jamais songé à intituler l’une de ses œuvres Maudits soupirs pour une autre fois (p. 114). Comme cela a été rappelé ici – Nabe ayant récemment commis la même erreur –, c’est suite à une faute de lecture que deux titres envisagés par Céline furent amalgamés : “Au vent des maudits” et “Soupirs pour une autre fois”. Et c’est sous ce titre fallacieux qu’une version primitive de Féerie parut en 1985. Les autres erreurs relèvent vraiment du détail¹.
Comme les lecteurs du Bulletin le savent, José Correa est actuellement le meilleur portraitiste de Céline. C’est aussi un aquarelliste de talent comme en attestent les illustrations en couleurs qui figurent dans cet ouvrage. Lequel n’apprendra rien aux célinistes. Mais cet ouvrage leur est-il destiné ? Il s’adresse plutôt au grand public s’intéressant à Céline et ignorant des conditions de l’exil et du procès. Ce livre offre surtout la particularité d’être en empathie avec son sujet, ce qui, dans le cas de Céline, est suffisamment rare pour être relevé.
• Christophe MALAVOY & José CORREA, L.-F. Céline. Les Années noires, Les Éditions de l’Observatoire, 2021, 245 p. (22 €). Un second tome, racontant les dix années ultérieures, Le Misanthrope de Meudon, est en préparation.
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Du Loup des steppes à Bardamu: Hesse et Céline contre le monde moderne
Nicolas Bonnal
C’est le hasard de mon livre sur Céline qui me fit retrouver Hermann Hesse, écrivain déjà bien oublié. Mais dans le Loup des steppes il nous semble, sans nous balancer dans la littérature comparée, qu’il aborde le problème de la modernité comme Céline. On est à l’époque de la guerre, de la massification, des abrutissements modernes et des années folles. Voyez la Foule de King Vidor pour évaluer le beuglant…
On commence par les hommes-masse de notre époque (traduction de Juliette Parry) » :
« Il ne s’agit pas ici de l’homme tel que le connaissent l’école, l’économie nationale, la statistique, de l’homme tel qu’il court les rues à des millions d’exemplaires et qu’on ne saurait considérer autrement que le sable du rivage ou l’écume des flots : quelques millions de plus ou de moins, qu’importe, ce sont des matériaux, pas autre chose. »
Hesse décrit aussi la vie ennuyée de cet homme-masse façonné par l’industrie et cet écœurement qui en sourd :
« …celui qui a vécu des jours infernaux, de mort dans l’âme, de désespoir et de vide intérieur, où, sur la terre ravagée et sucée par les compagnies financières, la soi-disant civilisation, avec son scintillement vulgaire et truqué, nous ricane à chaque pas au visage comme un vomitif, concentré et parvenu au sommet de l’abomination dans notre propre moi pourri, celui-là est fort satisfait des jours normaux, des jours couci-couça comme cet aujourd’hui ; avec gratitude, il se chauffe au coin du feu ; avec gratitude, il constate en lisant le journal qu’aujourd’hui encore aucune guerre n’a éclaté, aucune nouvelle dictature n’a été proclamée, aucune saleté particulièrement abjecte découverte dans la politique ou les affaires…»
Comme Céline ou Ortega Y Gasset (et des dizaines d’autres), Hermann Hesse dénonce cette émergence cette civilisation de la masse satisfaite :
« Je ne comprends pas quelle est cette jouissance que les hommes cherchent dans les hôtels et les trains bondés, dans les cafés regorgeant de monde, aux sons d’une musique forcenée, dans les bars, les boîtes de nuit, les villes de luxe, les expositions universelles, les conférences destinées aux pauvres d’esprit avides de s’instruire, les corsos, les stades… »
Une brève allusion à notre américanisation – qui frappe aussi Chesterton ou Bernard Shaw à cette époque :
« En effet, si la foule a raison, si cette musique des cafés, ces plaisirs collectifs, ces hommes américanisés, contents de si peu, ont raison, c’est bien moi qui ai tort, qui suis fou, qui reste un loup des steppes, un animal égaré dans un monde étranger et incompréhensible, qui ne retrouve plus son cli mat, sa nourriture, sa patrie. »
Le personnage couche avec des danseuses lesbiennes découvre le fox-trot et la musique nègre. Mais voici ce que dit la danseuse:
« Crois-tu que je ne puisse comprendre ta peur du fox-trot, ton horreur des bars et des dancings, ta résistance au jazz-band et à toutes ces insanités ? Je ne les comprends que trop, et aussi ton dégoût de la politique, ton horreur des bavardages et des agissements irresponsables des partis et de la presse, ton désespoir en face de la guerre, celle qui fut et celle qui viendra, en face de la façon dont on pense aujourd’hui, dont on lit, dont on construit, dont on fait de la musique, dont on célèbre les cérémonies, dont on fabrique l’instruction publique ! Tu as raison, Loup des steppes, tu as mille fois raison, et pourtant tu dois périr. Tu es bien trop exigeant et affamé pour ce monde moderne, simple, commode, content de si peu ; il te vomit, tu as pour lui une dimension de trop. »
Après on donne une définition de loup des steppes (titre d’un groupe de pop au temps jadis) :
« Celui qui veut vivre en notre temps et qui veut jouir de sa vie ne doit pas être une créature comme toi ou moi. Pour celui qui veut de la musique au lieu de bruit, de la joie au lieu de plaisir, de l’âme au lieu d’argent, du travail au lieu de fabrication, de la passion au lieu d’amusettes, ce joli petit monde-là n’est pas une patrie… »
Et si Céline a dit que la vérité de ce monde c’est la mort :
« Il en fut toujours ainsi, il en sera toujours ainsi ; la puissance et l’argent, le temps et le monde appartiennent aux petits, aux mesquins, et les autres, les êtres humains véritables, n’ont rien. Rien que la mort… »
Et si Céline a dit que la postérité c’est pour les asticots :
« La gloire, ça n’existe que pour l’enseignement, c’est un truc des maîtres d’école. »
Antisémitisme ; Hesse le voit pointer comme la prochaine guerre dès le début des années vingt, au moment où Céline vit le Voyage :
« Il n’a pas vécu la guerre, ni le bouleversement des bases de la pensée par Einstein (cela, pense-t-il, est du domaine des mathématiciens) ; il ne voit pas comment se prépare autour de lui la prochaine guerre ; il tient pour haïssables les Juifs et les communistes ; il est un brave gosse insouciant et gai qui se prend au sérieux, il est digne d’être envié. »
L’Allemagne est déjà prête pour la prochaine guerre comme le voit Bainville à la même époque. On a aussi fait ce qu’il fallait au traité de Versailles (lisez Guido Preparata à ce sujet) :
« C’est cela qu’ils ne me pardonnent pas, car, bien entendu, ils sont tous innocents : le Kaiser, les généraux, les grands industriels, les politiciens, les journaux, nul n’a rien à se reprocher, ce n’est la faute de personne. On croirait que tout va on ne peut mieux dans le monde ; seulement, voilà, il y a une douzaine de millions d’hommes assassinés. »
Hesse aussi hait ces journaux qui rendront fou Céline :
« Deux tiers de mes compatriotes lisent cette espèce de journaux, entendent ces chansons matin et soir ; de jour en jour, on les travaille, on les serine, on les traque, on les rend furieux et mécontents ; et le but et la fin de tout est encore la guerre, une guerre prochaine, probablement encore plus hideuse que celle-ci. »
Hesse décrit dégoûté une absorption des journaux :
« C’est bizarre, tout ce qu’un homme est capable d’avaler ! Pendant près de dix minutes, je lus un journal et laissai pénétrer en moi, par le sens de la vue, l’esprit d’un homme irresponsable, qui remâche dans sa bouche les mots des autres et les rend salivés, mais non digérés. C’est cela que j’absorbai pendant un laps de temps assez considérable. »
Et si Céline parle de la musique judéo-saxo-nègre, Hesse aussi :
« Lorsque je passai devant un dancing, un jazz violent jaillit à ma rencontre, brûlant et brut comme le fumet de la viande crue. Je m’arrêtai un moment : cette sorte de musique, bien que je l’eusse en horreur, exerçait sur moi une fascination secrète. Le jazz m’horripilait, mais je le préférais cent fois à toute la musique académique moderne ; avec sa sauvagerie rude et joyeuse, il m’empoignait, moi aussi, au plus profond de mes instincts, il respirait une sensualité candide et franche ».
Céline et les nègres ? Hermann Hesse et les nègres, et la bonne musique nègre :
« Et cette musique-là avait l’avantage d’une grande sincérité, d’une bonne humeur enfantine, d’un négroïsme non frelaté, digne d’appréciation. Elle avait quelque chose du Nègre et quelque chose de l’Américain qui nous paraît, à nous autres Européens, si frais dans sa force adolescente. L’Europe deviendrait-elle semblable ? Était-elle déjà sur cette voie ? »
Toute la vieille culture est remise en cause comme chez Elie Faure à la même époque :
« Nous autres vieux érudits et admirateurs de l’Europe ancienne, de la véritable musique, de la vraie poésie d’autrefois, n’étions-nous après tout qu’une minorité stupide de neurasthéniques compliqués, qui, demain, seraient oubliés et raillés ? Ce que nous appelions « culture », esprit, âme, ce que nous qualifiions de beau et de sacré n’était-ce qu’un spectre mort depuis longtemps, et à la réalité duquel croyaient seulement quelques fous ? Ce que nous poursuivions, nous autres déments, n’avait peut-être jamais vécu, n’avait toujours été qu’un fantôme ? »
Comme dit Debord l’ancienne culture elle est congelée.
Néanmoins Hesse ne fait pas preuve d’hypocrisie, et il nous donne sa deuxième définition du loup des steppes c’est un bohême collaborateur de cette bourgeoisie.
« En effet, la puissance de vie du bourgeoisisme ne se base aucunement sur les facultés de ses membres normaux, mais sur celles des outsiders extrêmement nombreux, qu’il est capable de contenir par suite de l’indétermination et de l’extensibilité de ses idéals. Il demeure toujours dans le monde bourgeois une foule de natures puissantes et farouches. Notre Loup des steppes Harry en est un exemple caractéristique. Lui, qui a évolué vers l’individualisme bien au-delà des limites accessibles au bourgeois, lui qui connaît la félicité de la méditation, ainsi que les joies moroses de la haine et de l’horreur de soi, lui qui méprise la loi, la vertu et le sens commun, est pourtant un détenu du bourgeoisisme et ne saurait s’en évader. »
On se vent âme et corps au monde moderne et à sa technique de divertissement. Si notre Céline a dit que les Américains font l’amour comme les oiseaux, Hermann Hesse montre que son époque est libérée et son Allemagne de Weimar aussi :
« La plupart étaient extraordinairement douées pour l’amour et assoiffées de ses joies ; la plupart le pratiquaient avec les deux sexes ; elles ne vivaient que pour l’amour, et à côté des amis officiels et payants elles cultivaient d’autres liaisons amoureuses. Actives et affairées, soucieuses et frivoles, sensées et pourtant étourdies, ces libellules vivaient leur vie aussi enfantine que raffinée, indépendantes, ne se vendant que selon leur bon plaisir, attendant tout d’un coup de dés et de leur bonne étoile, amoureuses de la vie et cependant bien moins attachées à elle que ne le sont les bourgeois, toujours prêtes à suivre un prince charmant dans son château de conte de fées, toujours demi-conscientes d’une fin triste et fatale. »
La fille lui reproche de ne pas savoir danser, d’avoir appris le grec et le latin. Vian dira qu’il vaut mieux apprendre à faire l’amour que s’abrutir sur un livre d’histoire. Mais Céline tape tout le temps sur notre éducation et veut nous rapprendre le rigodon.
Le cinéma cette petite mort (Céline) ; voici comment Hesse décrit le procès.
« En flânant je passai devant un cinéma, je vis des enseignes lumineuses et de gigantesques affiches coloriées ; je m’éloignai, je revins sur mes pas et finalement j’entrai. Je pourrais demeurer là bien tranquillement jusqu’à onze heures environ. Conduit par l’ouvreuse avec sa lanterne, je trébuchai dans la salle obscure, je me laissai tomber sur un siège et me trouvai tout à coup en plein dans l’Ancien Testament. Le film était un de ceux qu’on tourne à grands frais et avec force trucs soi-disant non pas pour gagner de l’argent, mais dans des buts sublimes et sacrés ; les maîtres de catéchisme y conduisent en matinée leurs élèves. »
Après il tape encore plus fort sur ce cinéma :
« Ensuite, je vis le Moïse monter sur le Sinaï, sombre héros sur une sombre cime, et Jéhovah lui communiquer les dix commandements, avec le concours de l’orage, de la tempête et des signaux lumineux, cependant que son peuple indigne, entre-temps, dressait au pied du mont, le veau d’or et s’abandonnait à des distractions plutôt bruyantes. Il me paraissait bizarre et incroyable de contempler ainsi les histoires saintes, leurs héros et leurs miracles, qui avaient fait planer sur notre enfance les premières divinations vagues d’un monde surhumain ; il me semblait étrange de les voir jouer ainsi devant un public reconnaissant, qui croquait en silence ses cacahuètes : charmante petite saynète de la vente en gros de notre époque, de nos gigantesques soldes de civilisation… »
Et il dit ce qu’il en pense de cette société de consommation et de divertissement :
« Seigneur mon Dieu ! pour éviter cette saleté, c’étaient non seulement les Égyptiens, mais les Juifs et tous les autres hommes qui eussent dû périr alors d’une mort violente et convenable, au lieu de cette petite mort sinistrement mesquine et bourgeoise dont nous mourons aujourd’hui. »
La petite mort du monde bourgeois est ici là dans le poste de T.S.F.
« Mais c’était, je le vis bientôt, un appareil de T.S.F. qu’il avait dressé et mis en marche ; installant le haut-parleur, il annonça : « Vous entendrez Munich, le Concerto grosso en F-Dur de Haendel. »
En effet, à ma surprise et à mon épouvante indicible, l’appareil diabolique se mit à vomir ce mélange de viscose glutineuse et de caoutchouc mâché que les possesseurs de phonographes et les abonnés de la T.S.F. sont convenus d’appeler musique… »
Sources :
Le loup des steppes
Céline, le pacifiste enragé
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Parution du n°445 du Bulletin célinien
Sommaire :
Entretien avec Henri Godard
Céline vu par un journaliste nazi [1943]
François Gibault nous écrit
Céline parmi les maudits
Du voyage au bout de l’Enfer de Dante au Voyage au bout de la nuit de Céline
Il est toujours divertissant de voir des intellectuels qui furent partisans d’un ordre totalitaire (communiste, puis maoïste) s’ériger en contempteurs des turpitudes idéologiques de Céline. La virulence de ces anciens commissaires politiques, jadis animateurs d’un “Front Culturel Révolutionnaire”, ne le cédait en rien à celle du pamphlétaire. Ainsi de Jean Narboni (1937), ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma à la pire époque de leur histoire. Il signe un petit livre, La grande illusion de Céline, s’apparentant davantage au libelle qu’à l’essai¹. Il y aurait pourtant des choses intéressantes à écrire sur la relation ambivalente de Renoir à Céline. Lequel avait détesté, comme on sait, le chef-d’œuvre de celui qui était son exact contemporain. Le film sortit sur les écrans la même année que Bagatelles où il fut étrillé pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le cinéma. Cela n’empêcha nullement Renoir de clamer son admiration à Céline. Pas seulement pour ses deux premiers romans mais aussi, plus tard, pour D’un château l’autre qualifié d’« épopée prodigieuse »². Il voulut même adapter Voyage au cinéma avant d’en être dissuadé par le producteur Pierre Braunberger.
Narboni pratique le billard à trois bandes : pour mieux accabler Céline, il épingle Armand Bernardini, et surtout George Montandon qui eut les mêmes phobies racialistes mais à un degré plus avancé. Le témoignage du fils (alors adolescent) du metteur en scène dépeignant, début 1938, un Céline menaçant Renoir du peloton d’exécution quand les Allemands seront là, se veut accablant. Vraisemblable alors qu’il voulait précisément empêcher un conflit jugé fratricide ? Testis unus, testis nullus… On n’ose pour autant qualifier ce témoignage de douteux. …Douteux ? C’est l’adjectif qu’utilise, par antiphrase, l’auteur pour caractériser le patronyme de Lucette Almansor, s’étonnant que Céline « ne semble pas s’en être avisé ni inquiété » (!). S’il connaissait mieux son sujet, il n’aurait pas subodoré « un lointain ancêtre arabe » et saurait que le bisaïeul de Lucette, Émile Almansor (1828-1897), enfant trouvé par la portière de l’hospice de Mortagne-au-Perche, fut ainsi dénommé par l’adjoint au maire, sans doute inspiré par ses lectures ou une page du dictionnaire³. Nulle origine arabe donc. Celle-ci ne préoccupait d’ailleurs nullement son époux : il pensait benoîtement qu’elle expliquait le goût de sa femme pour les danses orientales et espagnoles. Mais peut-on reprocher à Narboni de ne pas s’être sérieusement documenté, lui qui ne reconnaît même pas Lucette sur une photo où Céline « parle avec une femme au turban » ? Sur le parcours sinueux de Renoir, il y aurait eu bien des choses à rappeler. Après avoir été proche des anarchistes du groupe Octobre et de la bande à Prévert, il fut compagnon de route du PCF sous le Front populaire avant d’aller tourner un film dans l’Italie fasciste à la veille de la guerre, puis de faire, vainement, des offres de service à Vichy. Déçu, il s’exila, comme on sait, en Amérique où son admiration pour Céline demeura intacte4. « Je l’aime parce qu’il est passionné », disait-il.
• Jean NARBONI, La grande illusion de Céline, Éd. Capricci, 2021, 140 p. (17 €)
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Parution du n°444 du Bulletin célinien
Sommaire :
Céline à Rennes, en 1923
De Rosembly à Thibaudat
Chronologie 1944
L’Église vue par Thibaudat
Schopenhauer, la musique et Céline
Pierre-Marie Miroux nous écrit.
Calendrier Editorial
Plusieurs éditeurs avaient sollicité les ayants droit de Céline afin d’éditer ses manuscrits inédits. Comme c’était prévisible, c’est l’éditeur « historique » de l’écrivain qui publiera ce corpus. Si le contrat n’a pas encore été signé, un calendrier éditorial se précise.
Le mois passé, François Gibault et Véronique Chovin ont rencontré Antoine Gallimard pour esquisser les étapes de publication des différents textes. Celui-ci a souligné qu’ils sont tous les trois animés par « le même souci de restituer ces textes de manière intégrale. »¹ Et de rappeler qu’il avait signé avec Lucette un accord lui donnant un droit d’option pour les éventuels inédits à venir. Pour l’édition, il n’y aura pas de travail d’équipe à proprement parler mais, vu le temps à rattraper, d’une attribution lot par lot aux célinistes compétents. Le professeur Henri Godard concentrera son travail sur Casse-pipe dont il a déjà assuré l’édition (partielle) pour la Pléiade. Il s’agit donc de numériser sans délai les manuscrits mis en sécurité dans une banque. Seuls quelques céliniens privilégiés, comme Émile Brami et David Alliot, ont eu jusqu’à présent la chance de les voir. Dans un premier temps, deux ouvrages vont être publiés : le manuscrit intitulé « Guerre », vraisemblablement écrit après Voyage au bout de la nuit, et la version considérablement augmentée de Casse-pipe, soit plus de 400 feuillets inédits qui viendront compléter ceux déjà publiés en 1949². Ces deux manuscrits devraient voir le jour dans la collection “Blanche” à l’automne prochain. Ultérieurement une nouvelle édition du troisième volume de la Pléiade (qui comprend Casse-pipe et Guignol’s band) sera édité. Le directeur de cette collection, Hugues Pradier, assistait d’ailleurs à cette réunion. Quant aux autres manuscrits, Antoine Gallimard assure que tout le travail éditorial sera mené de telle sorte qu’il aboutisse avant 2031, échéance à laquelle l’œuvre de Céline tombera dans le domaine public. Dans dix ans exactement. Nul doute qu’il faudra moins de temps à Henri Godard (1937) pour achever ce travail. Alors qu’il avait annoncé avoir définitivement mis un terme à ses travaux sur Céline³, il est donc appelé à se remettre au travail. Tout se présente au mieux et il s’est naturellement déclaré ravi de cette réapparition de manuscrits. Tout en marquant son étonnement de l’avoir appris par la presse. Sans doute estime-t-il à juste titre que les ayants droit eussent pu songer que cette découverte le concernait au premier chef. Il s’agit maintenant d’établir un planning et de répartir le travail. Sans doute ne faudra-t-il pas compter sur les transcriptions effectuées par le receleur dont les éditeurs peuvent, par ailleurs, très bien se passer.
13:52 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis-ferdinand céline, revue, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Parution des numéros 441, 442 & 443 du Bulletin célinien
Sommaire du n°443 :
Céline en librairie
– La piste Rosembly
– Histoire d’une restitution
– Inventaire des manuscrits retrouvés
– Quand Libé s’invitait à Meudon
– Du braoum à la SEC
Céline n’a donc ni menti ni affabulé lorsque, dans sa correspondance et plusieurs de ces romans, il évoque ses manuscrits volés à la Libération. Extraordinaire affaire que ces trésors retrouvés près de 80 ans plus tard ! On la traite en détail dans ce numéro. L’écrivain revient ainsi à l’avant-plan de la scène littéraire, comme ce fut le cas lors de son éviction des “Commémorations nationales” ou de la réédition impossible des pamphlets par Gallimard. Cette découverte miraculeuse à suscité un important dossier de presse (écrite et audio-visuelle) nourri à la fois par l’importance de ces manuscrits et la controverse judiciaire. Cela a été aussi l’occasion pour les célinistes de disserter sur le sujet. Avec plus ou moins de perspicacité. La palme revient à Philippe Roussin qui s’était déjà distingué, il y a deux ans, en s’opposant de manière radicale à une édition scientifique des textes polémiques. Dans une interview à Libération, il assène plusieurs affirmations qui laissent pantois¹. À propos de la correspondance Céline/Brasillach, il affirme que le premier avait injurié le second dans la presse collaborationniste. C’est ignorer que l’accrochage eut lieu avant-guerre : Je suis partout avait publié un écho ironique lorsque les pamphlets furent retirés de la vente suite au décret Marchandeau. Mais Roussin sait-il que Céline fut très touché par la relecture de Voyage par Brasillach en 1943 et, plus encore, par le chapitre des Quatre Jeudis l’année suivante, où pour la première fois un critique reconnu lui donnait une place d’envergure dans une sorte d’histoire de la littérature française du XXe siècle ? Céline concluait son remerciement hâtif par un « Bien affectueusement », formule peu fréquente sous sa plume lorsqu’il s’adressait à un critique. À l’été 1943, il le pressa de demander comme lui un permis de port d’arme : « Si la plèbe se soulève un peu, ce ne sera sûrement pas pour assassiner les Allemands, le risque est trop grand ! mais pour nous assassiner, vous et moi et quelques autres ». À l’automne de cette année, il lui écrivit une lettre où il définit pour la première fois son style « tel le métro », « d’émotion en émotion » et en « transposition ». À propos des années londoniennes, Roussin écrit qu’il se pourrait que Céline s’y soit marié. A-t-il entendu parler de Suzanne Nebout et connaît-il les découvertes publiées il y a quinze ans sur le sujet ?² Pour parachever le tout, il se demande si la légende du Roi Krogold est une légende celte. Sait-il enfin que Céline la qualifiait lui-même de « légende gaélique » ? Tant de méconnaissance confond…
Parallèlement les jugements moraux n’ont pas été absents tant il apparaît impossible de parler de cette découverte sans rouvrir le procès Céline. À la télévision, David Alliot n’a pas craint de le qualifier d’« ordure humaine »³. On est loin de la position de Henri Godard dont je citai ici une déclaration qui lui avait été erronément attribuée. Il m’avait alors adressé ce rectificatif : « Je n’ai jamais prononcé pour mon compte la phrase “Céline est un pur salaud” qui m’est prêtée par l’AFP. Tout au plus ai-je pu la citer pour m’en dissocier, et le journaliste aura fait la confusion. J’avais négligé jusqu’à présent de faire la rectification, mais je vois que certains de vos lecteurs s’émeuvent de trouver cette phrase dans ma bouche, je les comprends, c’est pourquoi je vous serais reconnaissant de signaler ce démenti. »4
Sommaire du n°442 :
Entretien avec Jin Longge
– Céline dans Paris-Midi [1935-1939]
C’était assurément une belle idée de choisir cette date anniversaire pour la création de la Société des lecteurs de Céline. Elle entend promouvoir son œuvre sans esprit sectaire. Bien des projets sont en gestation. Nul doute que les lecteurs du Bulletin se feront un plaisir, sinon un devoir, d’y adhérer. On lira dans ce numéro l’allocution prononcée par Émeric Cian-Grangé, qui va présider aux destinées de cette nouvelle association¹.
Il y a donc soixante ans que disparaissait le grand fauve de la littérature française. Juillet 1961 : une vague de chaleur submerge la France, avec une nette tendance orageuse. C’est la présence d’un anticyclone, solidement ancré sur l’Europe centrale, qui commande sur l’hexagone un chaud flux du sud. Ce samedi 1er juillet, la chaleur est étouffante. Lucette, levée à six heures, trouve Céline à la cave, l’air absent, en quête d’un peu de fraîcheur. Elle le convainc de remonter dans sa chambre et de s’allonger. « Ferme tout. Je ne peux pas supporter la lumière ». Photophobie annonciatrice de l’hémorragie cérébrale qui le foudroiera vers dix-huit heures. Afin de ne pas être importunée par les journalistes, Lucette demandera aux amis de respecter la consigne de silence. Le 3 juillet, elle laisse publier un communiqué sur l’état de son mari « qui s’est subitement aggravé » [sic]. L’inhumation aura lieu le lendemain en présence de Claude Gallimard, Roger Nimier, Robert Poulet, Marcel Aymé, Lucien Rebatet, Jean-Roger Caussimon, Max Revol, Serge Perrault, Jean Ducourneau et deux journalistes : Roger Grenier (France-Soir) et André Halphen (Paris-Presse). Soixante plus tard, la fidélité est au rendez-vous. Sous un ciel radieux, quelques céliniens sont là : David Alliot, Laurent Simon, Pierre de Bonneville, Gérard Silmo,… Mais aussi diverses personnalités : Daniel Heck, président du Cercle des amis de Louis Bertrand, le peintre Serhgei Litvin Manoliu, Patrick Wagner, directeur de la revue Livr’arbitres, le libraire Pierre-Adrien Yvinec, l’écrivain Patrick Gofman, Pascal-Manuel Heu, spécialiste du 7e art, le journaliste Francis Puyalte,… Et des anonymes, simples admirateurs de Céline, qui ont tenu à assister à cet hommage. Cet anniversaire ne fut guère signalé par la presse². Et naturellement pas dans la revue municipale. Il faut remonter à plus d’une décennie pour y trouver trace de Céline dans un article consacré à quelques personnalités reposant au cimetière des Longs-Réages³.
Le même jour se tenait à Paris une vente exceptionnelle : celle de la collection de mon ami Patrice Espiau (†)4 qui consacra une bonne partie de sa vie à la constituer, réunissant de multiples éditions originales sur grand papier, mais aussi tout ce qui a été édité sur Céline : livres, plaquettes, revues, thèses, affiches, catalogues, etc. Une édition originale de Nord sur vélin (enrichi d’une page manuscrite), superbement reliée par Jean-Paul Miguet, fut adjugée pour plus de 20.000 €. La gloire posthume de l’écrivain est aussi faite de cela.
13:17 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis-ferdinand céline, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française, revue | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Céline fait des trous dans la page tandis que Brasillach permet de voir à travers...
Frédéric Andreu
A sa sortie en 1932, le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, a fait l’effet d’un séisme dans le monde littéraire. Depuis, admirateurs et détracteurs lui reconnaissent un génie incomparable. On comprends alors pourquoi la découverte récente de milliers de pages inédites de Céline – en pleine folie covidiste – fait l’effet d’une réplique sismique !
Cela, c’est du Céline tout craché ! Une malle remplie de centaines de pages inédites en pleine mythographie covidiste ! Les lustres et les tables de nos logis se remettent à trembler. Et on cherche même la direction des abris…
Lanceur d’alerte, Céline est le grand démystificateur de notre temps. Il a passé au crible toutes les propagandes idéologiques, capitalisme, communisme, sionisme, etc ; et la Collaboration ne fut pas en reste avec ses vieillards qui « sentent le pipi »... Bref, toutes les (im)postures sont passées au crible. Et il a même inventé un terme pour les désigner : le «blabla» rentré dans notre langue de tous les jours. Les blablas, ce sont ces vieilles couches de peinture qu’il est allé décaper à l’intérieur même de la langue. Au total, pas moins de 80.000 pages écrites à la main pour parvenir, dirons certains, à la toile même du fond émotif des choses !
«C’est des filigranes la vie, ce qui est écrit nette, c’est pas grand-chose ; ce qui compte, c’est la transparence !» s’écria-t-il à qui voulait l’entendre. On comprends mieux pourquoi lire du Céline, c’est beau comme un jour en décomposition, un soleil couchant avec ses flammes mourantes. On ouvre un roman de Céline, il en sort des rayons crépusculaires. Une fois refermé le livre, il ne reste plus qu’à traverser la nuit comme un voyage.
Céline pourfend les mythographies aliénantes - a commencé par la propagande qui a conduit la France a déclaré la guerre à l’Allemagne en 1939 - mais cela vaut aussi pour la langue écrite elle-même. De romans en romans, Céline atteint la toile de fond des choses de la toile, encore toute vibrante d’émotions. Brasillach nous révèle au contraire - notamment dans son roman Comme le temps passe - la mythologie personnelle de notre vie intime.
Il n’y aurait donc non pas une mais deux « mythologies » vibratoirement actives dans nos vies individuelles et collectives. Une mythologie de seconde main, des pages aussi captatives qu’aliénantes, écrites par d’autres, et une mythologie qui nous précédent. C’est cette légende que l’on tente d’apercevoir au cours de notre passage sur terre.
Deux auteurs, deux parcours, deux styles à la fois antithétiques et complémentaires, à l’instar du crépuscule et de l’aurore. J’ai comme dans l’idée que l’un n’aurait pas été possible sans l’autre… le premier décape la langue jusqu’à la trame émotive tandis que l’autre laisse miroiter, entre ses pages, le matin profond de notre mémoire.
Il est grand temps de relire Céline et Brasillach avant la fin du jour.
Frédéric Andreu
19:45 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, louis-ferdinand céline, robert brasillach, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Parution du n°440 du Bulletin célinien
Sommaire :
François Marchetti nous a quittés
Céline dans Paris-Midi (1ère partie)
Actualité célinienne
• Antoine LABYE, « Une heure avec Pierre Mertens », RCF [Liège], 8 mars 2021.
09:58 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis-ferdinand céline, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, revue | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Parution du numéro 439 du Bulletin célinien
Sommaire :
Quand Chateaubriand prédisait la venue de Céline…
Le Journal de Rebatet
Céline dans Juvénal
Quand le fantôme de Céline met la Préfecture de police en émoi [archive]
Il est périlleux pour un comédien de lire Céline. Le risque est d’en faire trop, de souligner les effets, bref de surcharger. Voilà un écueil qu’évite sans conteste Denis Podalydès. Après nous avoir donné une lecture intégrale de Voyage au bout de la nuit ¹, il nous gratifie, cette fois, de celle de Mort à crédit, sous la forme de deux disques compacts (format mp3). Autant le dire d’emblée : il ne fait pas l’unanimité auprès des céliniens si l’on en juge par les avis propagés sur les réseaux sociaux de l’Internet. Les uns goûtent peu sa lecture jugée monocorde même si elle est motivée par le souci de ne pas verser dans l’expressionnisme facile et vulgaire de certains interprètes. Les autres, la trouvent très fine, à l’opposé des lectures outrées qui abondent. En atteste ce commentaire : « Pas le plus musical, pas le plus jazzy, mais une véritable fragilité qui révèle de très belles nuances dans le texte… J’ai longtemps préféré Luchini pour son interprétation très “dansante” ; celle de Podalydès me paraît aujourd’hui tellement plus subtile, moins caricaturale. » À propos de sa lecture de Voyage, l’écrivain Thomas Compère-Morel estime qu’il a trouvé « la respiration parfaite de l’écriture célinienne pour nous en restituer la force brute ». Le critique littéraire Grégoire Leménager renchérit : « Loin de la gouaille de Michel Simon comme des éruptions jubilatoires de Luchini, ce sociétaire de la Comédie-Française lit Céline comme il lirait du La Bruyère. Soudain très grand siècle, avec une sobriété qui confine à la pureté, le saisissant bavardage de Bardamu y devient ce qu’il est aussi : un immense texte classique, qui oppose la beauté d’une langue à la trivialité du monde. » Il faut dire que Podalydès a l’intelligence de s’adapter au canal de diffusion : il ne s’adresse pas ici au public d’une salle de théâtre mais à une seule personne écoutant le texte dans l’intimité.
On ne compte plus les grands comédiens qui ont lu Céline : de Michel Simon à Pierre Brasseur en passant par Arletty, Le Vigan, Georges Wilson et bien entendu Luchini. Ce qui n’est guère connu, ce sont les lectures qui n’ont pas fait l’objet de disques. Ces trésors figurent dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, ayant été diffusés jadis sur les ondes des radios publiques, particulièrement France-Culture. Plusieurs comédiens de grand talent ont, en effet, prêté leur voix à des émissions consacrées à Céline. Citons en vrac Jean-Louis Barrault, Michel Bouquet, Marcel Bozzuffi, Alain Cuny, André Dussolier, Julien Guiomar, Jean Négroni, Michel Piccoli, pour n’en citer que quelques-uns. Celui qui se dégage du lot, à mon sens, est Michel Vitold, excellent dans deux registres différents : un extrait éruptif de Bagatelles et un passage déchirant de Féerie où l’écrivain évoque sa mère décédée alors qu’il était en exil ². Une idée que je soumets à Laurent Vallet, président de l’I.N.A. (nommé en 2015 et renommé à ce poste en 2020) : éditer un disque consacré à Céline reprenant quelques unes de ses lectures d’anthologie.
• Louis-Ferdinand Céline. Mort à crédit. Lecture intégrale par Denis Podalydès. Gallimard, coll. “Écoutez lire”, 2021. Deux disques compacts. Durée : 23 heures. (26,90 €)
00:28 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis-ferdinand céline, revue, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Il n’y avait pas un bon et un mauvais Céline : il y avait Céline, un point c’est tout!
Par Francesco Subiaco
SOURCE: https://culturaidentita.it/non-cera-un-celine-buono-e-uno...
"La postérité est surtout exigeante pour son hypocrisie." Une hypocrisie qui, comme l'écrit Pol Vandromme, les conduit à mesurer les artistes avec la lentille du moralisme, à la myopie qui regarde le passé, ou pire l'art, avec les yeux du présent. Laisser de côté la grande littérature pour des raisons politiques, sans se soucier du style, de l'œuvre, voilà de quoi il retourne. Même si, trop souvent, une mauvaise écriture a été pardonnée au nom d'une mauvaise politique. Cependant, Vandromme, critique belge et cosmopolite, n'était pas affecté par ces myopies et consacrait son activité à la diffusion d'auteurs gênants, dont les grandes œuvres ne pouvaient être éclipsées par des moralismes. Parmi eux, Louis Ferdinand Céline, raconté dans un splendide essai du même nom publié par ITALIA STORICA, sous la direction d'Andrea Lombardi. Un essai nécessaire pour connaître ce maudit auteur capable d'écrire les grands chefs-d'œuvre du vingtième siècle, comme Voyage ou Nord. Un auteur réadmis trop tard, et partiellement seulement, au Panthéon des Lettres, tiraillé entre la thèse du bon Céline des premiers romans et du mauvais Céline des pamphlets et de la trilogie allemande.
Vandromme parvient à mettre en évidence comment, cependant, cette différence n'est qu'apparente, comment les pamphlets, inexcusables et déplorables par leur contenu, ne peuvent être séparés de la personnalité et du style de cet Ezéchiel parisien, puisque "les romans racontent la peur, les pamphlets cherchent à la détruire", mais les uns comme les autres sont les enfants de la même atmosphère et du même monde. Un monde dont le thème fondamental est la peur, qui est exacerbée, déformée, créant des monstres, créant des rêves d'obsessions. Des obsessions qui sont le lent présage de la mort, de la dissolution. D'une condition de putréfaction et de fin dont Céline s'illusionne pour s'en sortir grâce aux exorcismes de ses pages. Une peur que l'on retrouve dans tous les textes de Céline et qui se manifeste par la "dénonciation de l'imposture contemporaine, du long combat victorieux que la décadence menait contre l'instinct de l'espèce". Une dénonciation qui devient un réquisitoire contre la guerre, comme la prophétie de la mort. Une mort qui est "la seule vérité de la vie", pour laquelle la guerre est une tragédie, un crime humanitaire sans "si" ni "mais". Une description de la condition existentielle amplifiée par un langage expressionniste et déformant, qui plonge dans les abîmes de l'âme humaine, voyant ses monstruosités, ses petitesses. La création de personnages parmi les plus vrais de la littérature et un style qui parvient à devenir porteur d'un nouveau naturel. Un naturel qui bouleverse le langage et en fait le grand mégaphone des émotions. En le transformant en un discours artificiel et vrai. De la petite musique qui fait bouger l'âme des ténèbres et de la nuit. La couleur des fantasmagories absurdes de Guignol’s Band et de Mort à crédit, de la liquéfaction du mot, de la fragmentation et du délire. Qui raconte la foule solitaire, le crépuscule halluciné du colonialisme, le désert de la guerre, la rage du bombardement, de Voyage a Nord. Vandromme vivisectionne le langage, les thèmes et les masques de l'œuvre de Céline, entre l'imminence de la peur, la destruction de la guerre et l'innovation linguistique. Récit de ce chroniqueur et styliste de la décadence, entre l'ironie de Swift et le cynisme de La Rochefoucauld. Réaliser l'exégèse de romans et de pamphlets, évalués à la lumière de leur validité stylistique, en considérant toujours l'horreur de son contenu. En nous disant que "nous ne devons pas avoir peur de ses livres". La société littéraire doit être capable de supporter tous les scandales et toutes les folies, d'avaler ses œuvres et de digérer ses mesquineries." D'autre part, comme le disait Arbasino, "l'œuvre d'art s'écrit elle-même". Et il parle le langage du style et de l'émotion".
Francesco Subiaco.
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Louis-Ferdinand Céline et le "blabla" idéologique de notre temps
par Frédéric Andreu-Véricel
Au temps où la liberté de déplacement était encore autorisés, une odyssée cycliste m'avait conduit à coudoyer la maison d'exil de L.F. Céline au Danemark. Point d'orgue de ce voyage, ma rencontre inopinée avec un témoin direct de l'époque, dont je comprends aujourd'hui la responsabilité face à l'Histoire. Olé Seyffart-Sorensen, huit ans à l'époque des faits, a en effet noué une touchante complicité avec le «Géant» (A l'époque, le gamin accompagnait son père dans la masure, prêtée par l'avocat danois, pour y effectuer de menues réparations de boiserie, cette masure ou Céline et Lucette passèrent bon gré, mal gré, plus de trois années).
Bref, avec le temps, ce voyage semble avoir délivré sa charge heuristique au delà de l'anecdote. La question est de savoir ce que le mal aimé des Lettres Française dirait des avancées sociétales du XXIème siècle, de cet art contemporain qui s'impose dans nos rues ébahies et autres confinements à répétition. Céline est mort il y a 70 ans (le même jour que Ernest Hemingway) mais une grande oeuvre peut agir aussi comme une réplique, au sens sismique du terme, du substrat de la civilisation.
Les confinements ont, à leur manière, contribué à donner des messages nouveaux à mon questionnement célinien. Je songe aux truculents entretiens radiophoniques disponibles sur internet, résonnant avec cette époque de basses eaux que nous traversons.
L'entretien de 1957, réalisé pour le compte d'une radio suisse, sonne comme un véritable roman radiophonique. Le fond sonore se compose de bruits divers et chants de menâtes qui donnent à ces propos une hilarité toute particulière que l'on retrouve bien sûr dans ses romans. L'auteur d'Un château l'autre qui se joue des faiblesses du journaliste, déclare notamment :
«Je suis femme du monde, Monsieur, et non pas putain ; j'ai des faiblesses pour qui je veux... Je me sacrifiais pour mes semblables. Je n'ai pas eu d'avantage à me sacrifier !"...
Quant aux innombrables colloques et recensions qui font flores sur la toile, aussi passionnants fussent-ils, ils ne m'ont pour autant pas fait basculer dans le célinisme confessionnel. C'est même en réaction contre un certain nombre de "poncifs" véhiculés autour de Céline, comme celui de l' "écrivain styliste", que j'ai commis cet article. Je voulais le surligner avec d'autant plus d'audace que ce poncif, répété en choeur par tous les épigones, provient de Céline lui-même. Dans un entretien de 1957, il déclare : « On parle de "messages". Je n'envoie pas des messages au monde. L'Encyclopédie est énorme, c'est rempli de messages. Il n'y a rien de plus vulgaire, il y en a des kilomètres et des tonnes, et des philosophies, des façons de voir le monde... ».
L'auteur du Voyage a martelé à plusieurs reprises qu'il n'était pas un "homme à idées, un homme à messages" mais il s'exprimait après avoir échappé à "la plus grande chasse-à-courre qui ait été organisée dans l'Histoire", au terme de dix-huit mois de réclusion au Danemark et six ans d'exil hors de France avant son retour équivoque.
Après guerre, l'Histoire était en cours d'être réécrite à la faveur des vainqueur. Et cette histoire fut écrite symétriquement contre le projet européen d'Hitler et la France de Céline. A son retour en France, son image d'écrivain maudit le contraint donc à une semi-clandestinité. A l'étage de la maison de Meudon, Lucette prodigue ses cours de danse ; au rez-de-Chaussée, le médecin Destouches reçoit quelques patients. Il écrira les trois romans fulgurants de la «trilogie allemande» (D'un château l'autre, Nord et Rigodon) mais réserve désormais ses visions politiques aux rares amis fidèles.
Pour cette période meudienienne, deux thèses s'affrontent, celle des Céliniens qui prétendent que sa posture et sa tenue vestimentaire de clochard aristocrate étaient surjouées et factices, et celle du très dévoué rédacteur de la revue célinienne, Marc Laudelout, qui penche au contraire pour un retrait jüngérien de Céline sur le mode «anarque».
Quelle que soit la réalité vécue, Céline fut sans conteste un "lanceur d'alerte" avant l'heure. Grand blessé de 1914, il milita contre la déclaration de guerre d'une France dont il présageait l'issue tragique. Il fustige une déclaration de guerre perdue d'avance. Il sera perçu pour un héros au début du second conflit mondial. A son retour en France, il restera un sage à la mode de Diogène-le-Cynique dans la villa de Meudon.
Sur l'art célinien, l'erreur généralement commise est à mon avis double :
1) Dissocier le style émotif de Céline et son "message" textuel est le premier travers dans lequel tombent nombre de Céliniens. En réalité, cette dichotomie n'est pas plus plus opératoire que la séparation franche entre la vie et l’oeuvre d 'un auteur. Ces manoeuvres appartiennent au monde proustien relayé par certains universitaires détachés des contacts avec les réalités et les sortilèges de l'écriture, promptes à créer une religion de ces séparations abstraites tout en se gardant bien d'occulter les distinctions lorsqu'elles s'imposent, le pays réel et le pays légal, par exemple.
A mon avis, style et « idées » ne sont tout simplement pas séparables, pas plus que forme et force en peinture aurait dit René Huyghe.
Certes, le travail de restitution de l'émotion du langage parlé dans l'écrit ne fait pas de Céline un théoricien des idées ni un "philosophe" stricto sensu, bien qu'il puisse, à mon avis, être perçu comme un "cynique". Céline est comme les cyniques grecs, proche des animaux. Il aime la compagnie des chats, des perroquets et des chiens ("cynique" provient d'ailleurs du latin cynismus pour désigner ce qui concerne le "chien"). Comme les Cyniques grecs, il aime à exprimer sans ménagement des sentiments, des opinions contraires à la morale reçue.
Les Cyniques ont pris pour modèle le chien car cet animal aime "ronger les os". Les Cyniques rongeaient les Idées platoniciennes. Céline, lui, est celui qui ronge le "blabla" que ce soit celui des va-en-guerres des années 30 que celui des chantres des évolutions sociétales des années 60. Céline est par exemple, avant Marshall Mac Luhan, un critique de la télévision et la publicité dont il pressent le pouvoir sur les masses dès 1953. Il anticipe la société du spectacle de Guy Debord. Il perçoit la portée idéologiques de la « réclame ».
On peut imaginer sans peine ce qu'il écrirait aujourd'hui face au "soft power" néolibéral de la machine macronienne, les avancées de la démocrature mondialiste sous couvert d'hystérie sanitaire. Il tournerait à coup sûr en dérision toute cette grossière mascarade ! Gageons également qu'il aurait été le premier à porter le "gilet jaune" sur les rond-points du pourtour parisien sur le mode "périféerique pour une autre fois" !
2) En revanche, contrairement à l'idée répandue, le style célinien est moins le retour de la langue populaire (la langue de la rue) que l'art de restituer l'émotion de la langue. Céline cherche à nettoyer la dentelle de la langue des formalismes et du métalangage hérités de la langue diplomatique du XVIIème siècle. Il désenclave la langue, il ne lui fait pas faire le trottoir. Mort à Crédit fourmille de mots d'argot, mais Féerie pour une autre fois, oeuvre la moins comprise du corpus, touche la dentelle même de la langue.
Si la langue est marquée, comme toutes réalités, par des mouvements de balancier, la langue romanesque de Céline marque incontestablement un "retour" à la langue pré-scripturale, souterraine, dionysiaque et rabelaisienne. Mais celle-ci ne s'identifie à mon avis pas à la "langue de la rue". Ceux qui soutiennent cette thèse se rangent sans même le savoir du côté de la critique allemande qualifiant les romans de Céline d'Asphalt Literatur, critique intéressante mais étrangère à la francophonie.
A mon avis, la langue célinienne a plus a voir avec le mouvement transcendantalisme américain qu'à l'Asphalt Literatur. Mais Céline est un Européen, au lieu de faire son miel du passé amérindien, il renoue avec le fond païen celtique, notamment. N'oublions pas que "Céline" est le prénom que Louis-Ferdinand emprunte à sa grand-mère bretonne, celle qui transmis au fils unique Destouches, choyé par ses parents, les légendes bretonnes des "Saints de la main gauche".
On comprends maintenant mieux pourquoi Céline se disait opposé aux idées: son style est déjà "idéologique", il n'a pas besoin d'exposer des idées pures ou phosphorer sur tels ou tels débats de société. Ce n'est pas un théoricien. A mon sens, on comprends que Céline a agit avec les idées comme il a agit avec la langue française dont il épure les lourdeurs et les formes figées. Il s'agit d'un « rendu émotif » de la langue française et non d'un bilan d'idées.
J'avance par ailleurs l'idée que Céline fut aussi le pionnier des "lanceurs d'alerte" en ouvrant notamment le sillon à Guillaume Faye.
3) Parmi les héritiers de Céline...: Se demander quelles « personnalités » pourraient aujourd'hui revendiquer l'héritage de Céline, c'est déjà y répondre. Bien sûr, le nom de Guillaume Faye vient à l'esprit comme une évidence. Le théoricien des années 80, l'"Esprit fusée" de la ND, fut aussi un humoriste sur les ondes de Sky Rock, un « homme total » décrié jusque dans ses propres rangs, comme il se doit pour un Célinien pur sucre. Nous savons que Faye mourut en état de semi-clochardisation à Paris.
Parmi les héritiers, je pense aussi au directeur artistique Joël Labruyère dont certains textes sont céliniens sans chercher à l'être. Dans la chanson Le Dieu Azard, le chansonnier développe une satire des "prêchi-prêcha" de la religion républicaine et scientiste; on ne saurait mieux s'inscrire dans le sillon du Céline pourfendeur des "blablas" pseudo-démocratiques de son temps, d'autant que la scénographie du clip avec des personnages à masques d'animaux n'est pas sans évoquer les réalités augmentées du roman célinien.
https://communaute-rose-epee.fr/2021/03/31/le-studio-des-brigandes-le-dieu-hazar-hasard/
Notons au passage que Céline est l'inventeur du néologisme "blabla" (dans Bagatelle pour un massacre) mais aussi de la ponctuation "émotive", entre autres innovations entrées aujourd'hui dans l'usage. L'héritage célinien est esthétique, il irradie tous les arts, littérature et cinéma notamment car la langue agit par cristallisation des innovations esthétiques.
Les entretiens relatifs à Céline sur internet réservent quelques perles à leurs auditeurs attentifs. Au cours du colloque tenu en 2011 sur le thème de Céline et L'Histoire : http://www.lepetitcelinien.com/2011/02/colloque-louis-ferdinand-celine-paris.html un intervenant prend la parole (à 3:27:00 minutes de l'émission) à propos des "chochottes anglaises", qui n'est autre que Robert Faurisson ! Vous pourrez sans doute reconnaître le truculent professeur au ton de sa voix. L'intervenant reste anonyme mais déclare être "demi-écossais".
Profitons de ce clin d’oeil amusant pour souligner l'apport du professeur en matière d'analyse textuelle, son interprétation étonnante de l'énigmatique poème "Voyelles" de Arthur Rimbaud a fait date. Ne le réduisons donc pas à son révisionnisme héroïque.
Les génies se reconnaissent souvent par leur pluralité, leur côté insaisissable, leur décalage par rapport à leur temps et au "polythéisme des valeurs". Céline fut à la fois un écrivain de génie, un lanceur d'alertes, et comme Apollinaire en son temps, un visionnaire. Il a notamment annoncé le déclin français, le crépuscule occidental, ainsi que la montée en puissance de la Chine. Il n'est pas exagéré de dire que nous serons tous un jour ou l'autre "céliniens", conscients ou non de cet héritage. Dès le Voyage, Céline annonce avoir renouvelé la littérature pour deux cent ans. Les génies se reconnaissent aussi par les phénomènes de cristallisations mimétiques qu'ils entraînent, malgré eux, après coup. On songe que Céline le reprouvé, le proscrit des commémorations, reste l'un des écrivains français le plus lu dans le monde. Il est l'objet d'un journal bimensuel publié depuis les années 80 regroupant tous les articles et publications à son sujet. Quel autre auteur peut en dire autant ?
4) L'art de Céline est le contraire même de l'art contemporain. La révolution célinienne touche le fond d'air de son temps (comme on pourrait dire : « le fond de l'air est célinien ») à l'instar d'un sismographe qui enregistre les mouvements telluriques d'un sol. Si l'influence de Céline est souterraine, si sa figure irrite autant qu'elle fascine, c'est sans doute parce qu'il travaille en dehors de toute climatisation idéologique (y compris fasciste). Son travail a consisté à décaper les couches de peinture de la langue pour atteindre sa trame émotive, d'où le génie qu'on lui prête. Il lui arrivait de paraphraser Saint Jean : « au début était l'émotion».
En matière d'art, il appréciait les impressionnistes, Vlaminck, etc. Il n'aimait pas la peinture abstraite, par exemple Dubuffet, qui, lui, avait une admiration éperdue pour Céline. Mais ses préférences allaient à Breughel, Bosch, etc. Bref, un choix éclectique.
Les tendances d'une certaine littérature et de l'Art Contemporain (AC) vise au contraire la monoculture. L'idée est d'expulser la trame émotive de l'art pour ne garder que la couche de peinture superficielle, conceptuelle, hors-sol, idéologique. D'où l'impression que les expositions d'AC ne touchent plus l'âme des spectateurs mais seulement l'épiderme et qu'elles s'imposent à l'instar de « slogans ». On peut parler à leur endroit de stratégie d'im-position et non d'ex-position. Tout se passe comme si les artistes subventionnés de l'AC agissaient à rebours de Céline.
Céline épure la langue de ses lourdeurs, le résultat est une langue qui est à la fois populaire et poétique sans chercher à l'être, poétique par « grâce », alors que les homards géants qui s'imposent sur nos places publiques sont tout au contraire des concepts déguisés en oeuvre, interdisant de ce fait tout espèce de réminiscence. L'émotion est remplacée par la provocation; le talent par la soumission à un logiciel idéologique et financier indiscutable, minutieusement démontré dans les ouvrages d'Aude de Kerros.
Dans une émission de radio, Aude de Kerros pose par ailleurs une question d'une grande actualité : « Peut-on être dissident dans le système libéral ?». La réponse à cette question est moins simple qu'il n'y paraît. Le libéralisme a transformé l'anti-fascisme (secondairement, l'anti-communisme) en neutralité politique. Dans une discussion entre amis, il faut être antifasciste pour être neutre et commencer à avancer un argument. Toutes vérités entre les lignes (la pensée transversale) sont désormais proscrites. Contemporain de la télévision, Céline disait que l'homme moderne était « lourd et épais ». Mais imaginait-il qu'il puisse atteindre l'obésité actuelle ?
Aujourd'hui, toute critique de l'AC pose un trouble. Si vous critiquez des oeuvres où l'âme a été remplacée par le concept, vous êtes automatiquement «suspecté» de dissidence. L'amalgame tombe sur vous comme une avalanche, et pour éviter les descellements des plaques de neige idéologiques, vous vous faites petit et discret.
Si, a contrario, vous critiquez frontalement l'AC ou la boite à munitions idéologiques qu'il contient (théorie du genre, théorie du climat) vous êtes automatiquement suspecté car l'AC cristallise l'astralité du néo-libéralisme. L'homme à qui il correspond est un homme hors-sol, interchangeable et consumériste, un homme sans âme et sans révolte.
Dans le climat idéologique actuel, l'AC reflète donc un enjeu idéologique. A mon sens, la dissidence consiste précisément d'en revenir «aux oeuvres», éprouvées et éprouvantes, aux Bergers d'Arcadie, à la Vierge au chancelier Rolin, sans pour autant passer d'une monoculture à une autre. Max Weber parle de « polythéisme des valeurs » ; c'est dans cette direction qu'il faut se diriger. Le Kolumba Museum de Cologne est à mon avis, un exemple de muséographie innovante échappant à la fois au passéisme réactionnaire et au progressisme idéologique.
L'auteur du Voyage a mis en lumière, comme Rabelais en son temps, les «sentiments innommables». Il en ressort un sentiment de provocation, parfois de malaise, mais à rebours de la provocation programmée de l'AC car Céline ne fait pas table rase du passé, il démystifie au contraire tous les « blablas » de notre temps y compris dans la langue elle-même. Dans son chef d'oeuvre Féerie pour une autre fois, on trouve la formule suivante. A tout seigneur, tout honneur ; nous voudrions terminer par elle:
"C'est des filigranes, la vie. Ce qui est écrit net, c'est pas grand chose. Ce qui compte, c'est la transparence. La dentelle du temps, comme on dit."
PS : Le récit de notre rencontre avec Ole et de mes aventures au Danemark, disponible ici:
https://www.lulu.com/en/en/shop/fr%C3%A9d%C3%A9ric-andreu-v%C3%A9ricel/voyage-au-bout-de-c%C3%A9line/paperback/product-98ynm8.html?page=1HYPERLINK "https://www.lulu.com/en/en/shop/frédéric-andreu-véricel/voyage-au-bout-de-céline/paperback/product-98ynm8.html?page=1&pageSize=4"&HYPERLINK "https://www.lulu.com/en/en/shop/frédéric-andreu-véricel/voyage-au-bout-de-céline/paperback/product-98ynm8.html?page=1&pageSize=4"pageSize=4)
Frédéric Andreu-Véricel
contact : fredericandreu@yahoo.fr
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Parution du numéro 438 du Bulletin Célinien
Sommaire :
Céline et Gide
András Hevesi, premier traducteur de Céline en hongrois (2e partie)
L’Éternel féminin dans Voyage au bout de la nuit
Ses relations avec Céline furent pour le moins étonnantes. Lorsque parut Bagatelles pour un massacre, il publia un article dans lequel il relevait que « le lyrisme emporte dans son flux la malice et la méchanceté ». Et d’ajouter : « Juif ou pas juif, zut et zut ! j’ai dit que j’aimais Céline. Je ne m’en dédirai pas ¹. » Un an plus tard, son libéralisme l’incita à condamner l’abus de censure que constituait, à ses yeux, le décret Marchandeau ² qui visait notamment les pamphlets céliniens. Il acceptait, en effet, l’idée de l’antisémitisme politique. Comme le lui reprochait son ami Malraux, il n’avait pas le sens de l’ennemi. Ce qu’il reconnaissait volontiers : « La haine n’est pas mon fort. » La mansuétude dont il fit preuve envers Céline n’était pas un cas particulier si l’on en juge par ces lignes : « Je suis persuadé que son cœur est pur de haine et que la provocation au meurtre fut toujours chez lui, figure de rhétorique. Les Juifs le croient antisémite Ils ont tort. Maurras n’est pas antisémite parce qu’il aime la Raison et qu’il n’est pas démagogue. Il ne vous reproche d’être juif que si vous ne dites pas comme lui… ». Aveuglement ? Libéralisme poussé jusqu’à l’outrance ? Les deux, sans doute… Après la guerre, il considéra que le racisme fut une formidable épidémie des années trente : « On ne parle pas avec indignation d’une épidémie. » Il dira à Bernard Morlino qu’il faut passer l’éponge sur Bagatelles pour ne retenir de Céline que l’inventeur d’un nouveau langage. Mais que restera-t-il de Berl ? Non pas ses pamphlets contre l’esprit bourgeois ou ses essais historiques, mais deux superbes récits parus après la guerre, Sylvia (1952) et Rachel et autres grâces (1965), sortes de confession d’un homme en quête de lui-même. Il rejoint ainsi Céline qui, après la guerre, rejetait la littérature des idées pour ne valoriser que celle où l’émotion prime.
• Emmanuel BERL, Prise de sang (présentation et bio-chronologie de Bernard Morlino ; postface de Bernard de Fallois), Les Belles Lettres, coll. “Le goût des idées”, 2020 (13,90 €)
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Parution du numéro 437 du Bulletin célinien
Sommaire :
La Société d’études céliniennes à la croisée des chemins
Mirabeau devancier de Céline
Céline dans Candide (2e partie, 1937-1944)
• Jean-Charles HUCHET. La joie haineuse (Le moment pamphlétaire de Louis-Ferdinand Céline), L’Harmattan, coll. “Espaces littéraires”, 2020, 302 p.
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Le Bulletin célinien n°436 est sorti de presse !
Sommaire :
András Hevesi, premier traducteur de Céline en hongrois
Céline dans Candide (1932-1936) [première partie]
Dans cette épatante collection « Bouquins », vient de paraître la réédition de la biographie de Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère (1954-2000). Cet hématologue le jour et biographe littéraire la nuit s’était essentiellement intéressé aux écrivains du XIXe siècle. Il est aussi l’auteur d’une biographie de Laforgue et de Lautréamont tout aussi érudites que celle-ci. À la fin de sa vie, il s’était attelé à une biographie de Céline qui ne restera malheureusement qu’à l’état d’ébauche (environ 200 pages). Il avait même fait le voyage au Cameroun pour prendre des notes sur place et voir ce qu’il y était possible de trouver. Son idée était de s’attaquer à l’un des auteurs les plus emblématique du XXe siècle, après avoir traité d’auteurs mythiques du siècle précédent. Il avait prévu trois volumes de 1500 pages chacun ! Hélas la maladie a cruellement eu raison de lui. Cette biographie aurait été passionnante et riche en découvertes tant Lefrère avait le culte des archives et de la recherche. Il avait déjà rassemblé une grande documentation, s’intéressant à tous les personnages secondaires qui avaient croisé Céline. Aussi était-il un peu écrasé par la masse de travail. Il insistait aussi sur le fait que, médecin lui-même, il avait une sorte de proximité avec le docteur Destouches. Cette recherche effrénée de la documentation se faisait parfois au détriment de l’essentiel : dans sa biographie de Rimbaud (qui compte plus d’un millier de pages), le poète s’évapore sous la masse de détails. Tout le contraire de la conception d’Henri Godard qui, pour sa biographie de Céline, fit sien ce propos de Malraux : « La biographie d’un artiste c’est sa biographie d’artiste. » À l’occasion de cette réédition, j’ai constaté que les querelles entre rimbaldiens sont au moins aussi vives que celles entre céliniens. Ce qui me rappelle cette plaisante réflexion de René-Louis Doyon à propos d’une autre confrérie : « On sait que les stendhaliens, plus que tous autres spécialistes, forment une gens susceptible, chatouilleuse, jalouse de leurs os médullaires et ne pardonnant à personne d’en analyser la substance, les accidents, les particularités, surtout si on ne fait point partie de cette communion tacite… »
Céline n’était pas un lecteur passionné de Rimbaud, lui préférant dans ce domaine les poètes du XVIe siècle, Louise Labé, du Bellay ou Ronsard. Mais il l’avait bien lu, comme en témoigne une lettre à son traducteur anglais dans laquelle il cite de mémoire des vers de la « Chanson de la plus haute tour¹ ». Dans une étude savante, une universitaire discerne ici et là dans l’œuvre célinienne l’empreinte rimbaldienne, une sorte de filiation cachée ². Ainsi, le prologue de Mort à crédit est vu comme une réécriture minutieuse des lettres dites du « Voyant », « Alchimie du verbe » ou « Nuit d’enfer ». C’est un peu poussé mais procure de surprenantes illustrations, non pas de la notion d’intertexte, mais de « compagnonnage » (Rimbaud-Céline) qui donnent à rêver. Ce qui paraîtra, en revanche, tangible, c’est l’affirmation de Céline qui assurait connaître la raison du départ de Rimbaud en Afrique : « Il en avait assez de tricher. (…) Il y a une hantise chez le poète de ne plus tricher. » L’alternative étant, comme on sait, de « mettre sa peau sur la table ».
• Jean-Jacques LEFRÈRE : Arthur Rimbaud (biographie), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1408 pages (32 €)
10:18 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : revue, louis-ferdinand céline, céline, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, arthur rimbaud | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Céline et la soumission imbécile du Français
par Nicolas Bonnal
On entend ici et là qu’on va réagir, qu’on est le pays des rebelles, des droits de l’homme, de la liberté, des tranchées et qu’on va voir ce qu’on va voir à propos du vaccin, du masque, du confinement.
Je répète : jouez aux rebelles quinze secondes, vous qui me jetez la pierre, dans le métro, à l’école, au boulot. Il n’y a pas 30% de mécontents ou d’insoumis dans ce pays, mais 1%. Et ça dépend des jours et du sujet.
Une amie m’a écrit hier :
« J’entendais hier un général de gendarmerie, étonné de la "docilité" des français (à propos du couvre-feu), qui disait qu'en réalité on n'aurait pas le choix. Carnet vaccinal obligatoire pour voyager ; pour se soigner et aller à l'hosto idem ; pour travailler encore, les administrations demanderont à leurs employés de se faire vacciner (et je doute que le privé soit en reste) ; bref ce que tu dis depuis des mois. »
C’est ce que je dis depuis des mois parce que c’est ce qui se passe depuis des siècles.
Tout pays de la liberté se croit plus libre au fur et à mesure qu’il s’enferme dans les réseaux inextricables des lois. Maistre rappelait en 1789 qu’on avait eu plus de lois en un an qu’en mille.
Quelques rappels céliniens alors. C’est ma monographie la plus lue - avec celle de Tolkien - et elle est lue par des gens qui ont compris que Céline ne parle pas des juifs (sujet éculé tout de même) mais des Français :
« Il règne sur tout ce pays, au tréfonds de toute cette viande muselée, un sentiment de gentillesse sacrificielle, de soumission, aux pires boucheries, de fatalisme aux abattoirs, extraordinairement dégueulasse. Qui mijote, sème, propage, fricote, je vous le demande, magnifie, pontifie, virulise, sacremente cette saloperie suicidaire ? Ne cherchez pas ! Nos farceurs gueulards imposteurs Patriotes, notre racket nationaliste, nos chacals provocateurs, nos larrons maçons, internationalistes, salonneux, communistes, patriotes à tout vendre, tout mentir, tout provoquer, tout fourguer, transitaires en toutes viandes, maquereaux pour toutes catastrophes. Patriotes pour cimetières fructueux. Des vrais petits scorpions apocalyptiques qui ne reluisent qu’à nous faire crever, à nous fricoter toujours de nouveaux Déluges. »
Céline a compris que le Français n’est pas une victime de Macron, Hollande ou Sarkozy, du comité des forges ou du mondialisme ou de Bruxelles : le Français est un enthousiaste. On le laisse cracher le morceau (à Céline) :
« Plus de Loges que jamais en coulisse, et plus actives que jamais. Tout ça plus décidé que jamais à ne jamais céder un pouce de ses Fermes, de ses Privilèges de traite des blancs par guerre et paix jusqu’au dernier soubresaut du dernier paumé d’indigène. Et les Français sont bien contents, parfaitement d’accord, enthousiastes. »
Cela c’était avant 39. Pour aujourd’hui aussi ces lignes résonnent furieusement (pensez à ces queues d’andouilles voulant être testées cet été…) :
« Une telle connerie dépasse l’homme. Une hébétude si fantastique démasque un instinct de mort, une pesanteur au charnier, une perversion mutilante que rien ne saurait expliquer sinon que les temps sont venus, que le Diable nous appréhende, que le Destin s’accomplit. »
Certains nous font le coup à la mode Maurras du grand recours, de la divine surprise (Trump…). On a vu la lâcheté incisive des femmes Le Pen. Céline savait ce qu’il en coûtait de se fier aux patriotes, aux nationalistes et autres, toujours les premiers à offrir leur poitrine aux démocraties, comme disait Bernanos. Et de rentrer dedans :
« Dans nos démocraties larbines, ça n’existe plus les chefs patriotes. En lieu et place c’est des effrontés imposteurs, tambourineurs prometteurs “d’avantages”, de petites et grandes jouissances, des maquereaux “d’avantages”. Ils hypnotisent la horde des “désirants”, aspirants effrénés, bulleux “d’avantages”. Pour l’adoption d’un parti, d’un programme, c’est comme pour le choix d’un article au moment des “réclames”, on se décide pour le magasin qui vous promet le plus “d’avantages”. Je connais moi des personnes, des véritables affranchis qui sont en même temps marxistes, croix-de-feu, francs-maçons, syndiqués très unitaires et puis malgré tout, quand même, encore partisans du curé, qui font communier leurs enfants. C’est des camarades raisonnables, pas des fous, qui veulent perdre dans aucun tableau, qui se défendent à la martingale, des Idéologues de Loterie, très spécifiquement français. Quand ça devient des racailles pareilles y a plus besoin de se gêner. »
Cela s’applique aussi au Bayrou, catho, bourgeois, six enfants, qui nous prépare le passeport vaccinal et la grande confiscation dans un bâillement/acquiescement général.
Céline remet notre occident démocrate – qui retombe dans son terrorisme/bolchévisme initial, ici ou en Amérique - à sa place :
« La conjuration mondiale seule véritable réussite de notre civilisation. Nous n’avons plus de patriotes. C’est un regret de bétail, on en a presque jamais eu de patriotes. On nous a jamais laissé le temps. D’une trahison dans une autre, on a jamais eu le temps de souffler… D’une guerre dans une autre… »
Après on est vendus aux étrangers mais c’est depuis des siècles (pensez à Concini dans le Capitan…) :
« On nous a toujours trafiqués, vendus comme des porcs, comme des chiens, à quelque pouvoir hostile pour les besoins d’une politique absolument étrangère, toujours désastreuse. Nos maîtres ont toujours été, à part très rares exceptions, à la merci des étrangers. Jamais vraiment des chefs nationaux, toujours plus ou moins maçons, jésuites, papistes, juifs… »
Parti de l’ordre, parti catholique, parti social-démocrate, parti européen, parti pro-américain, parti prosoviétique, on n’en finirait pas…Comme on sait dans le dernier pamphlet Céline a compris que le problème français est insoluble, plus fort que prévu, et que « bouffer du juif ne suffit plus » ! Il était temps Ferdinand !
Qui a envie de bouffer du Zemmour, du Toubiana, du Kunstler, du Greenwald ? En pourcentage il y a plus de juifs que de goys antisystèmes. 10% dans un cas, un pour dix mille dans l’autre.
Un autre antisémite qui a enfin compris les Français c’est Drumont. Et dans son Testament, très supérieur à la France juive, il écrivait le vieil Edouard :
« Quand les conquérants germains et francs qui, unis aux purs Gaulois et aux Celtes, constituèrent véritablement la France eurent perdu leur vigueur, l'élément gallo-romain l'emporta, la race latine reprit le dessus; or, cette race est faite pour la tyrannie, puisqu'elle n'a aucun ressort de conscience ; elle adore une idole imbécile, une idole de marbre ou de plâtre qu'on appelle la Loi, et au nom de cette Loi, elle subit tout. »
Ensuite Drumont l’explique cette ludique loi gallo-romaine :
« La Loi, c'est le licteur qui vient de la part de César annoncer au citoyen romain qu'il est condamné à mourir, mais qu'on lui laisse le choix du supplice ; c'est le gendarme de la Révolution qui vient parfois tout seul arrêter cinq ou six personnes et qui les conduit au Luxembourg ou à la Conciergerie, où un autre gendarme vient les chercher pour les conduire à la guillotine. Jamais il n'est entré dans la cervelle de ceux qu'on arrêtait ainsi, l'idée de commencer par tuer le gendarme. C'est là un spectacle extraordinaire et il n'y a jamais qu'en France qu'un gouvernement ait pu s'appeler, comme par une désignation constitutionnelle: la Terreur. »
Revenons à Céline et à la docilité du colonel de gendarmerie cité plus haut :
« Les Français subiront leur sort, ils seront mis, un jour, à la sauce vinasse... Ils le sont déjà. Pas d'erreur!... Le conquérant doit être sûr de ses esclaves en tous lieux, toujours en mains, sordidement soumis, il doit être certain de pouvoir les lancer, au jour choisi, parfaitement hébétés... dociles... jusqu' aux os... gâteux de servitude, dans les plus ronflants, rugissants fours à viande... sans que jamais ils regimbent, sans qu'un seul poil de ce troupeau ne se dresse d'hésitation, sans qu'il s'échappe de cette horde le plus furtif soupçon de plainte... »
C’est lui qui qualifie nos monuments aux morts de lourds dolmens de la docilité…
Source:
Nicolas Bonnal – Céline, le pacifiste enragé
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Parution du n°436 du Bulletin célinien
Sommaire :
Céline au Brésil. Entretien avec Amanda Fievet Marques
Proust vu et corrigé par Céline
Céline dans le Journal de guerre de Paul Morand
La visite de la Beat Generation à Céline
Évelyne Pollet rééditée à Céline.
Arrivera-t-il à Mauriac ce qui est arrivé à d’autres écrivains ? Deux ans avant sa mort, il écrivait : « À force de ne pas mourir, le romancier que je suis a été peu à peu recouvert par le journaliste, que certes je ne renie pas : il n’est pas impossible que le Bloc-notes ou les Mémoires intérieurs seront consultés encore à une époque où nul ne songera plus à ouvrir mes romans. » Ainsi de Voltaire qui pariait sur ses tragédies alors que c’est sa correspondance que nous lisons. Et Candide qu’il considérait comme une pochade. Même chose pour Mauriac : on ne lit plus guère le romancier des tourments entre la religion et la chair. Mais, cinquante ans après sa mort, l’atticisme, parfois corrosif, du chroniqueur s’apprécie toujours autant. Ce Bloc-notes (1952-1970) était épuisé depuis plusieurs années. Jean-Luc Barré, qui dirige la collection “Bouquins”, a eu la bonne idée de le rééditer. Il en signe aussi la préface, connaissant bien le sujet pour avoir publié une biographie de Mauriac qui révéla au grand jour son homosexualité refoulée. Ce qu’avait subodoré Céline qui voyait en lui « un rongé pédé qui n’a jamais osé ». Au-delà de l’actualité politique, le bloc-notes peut se lire comme on savoure, mutatis mutandis, les mémoires de Saint-Simon. On y trouve un Mauriac gambadant en toute liberté, bien plus libre qu’il ne l’est dans ses romans. Il n’y est jamais question de Céline si ce n’est pour paraphraser les titres de deux de ses livres : Voyage au bout de la nuit (7 avril 1956) à propos du gouvernement de Front républicain, et Bagatelles pour un massacre (13 février 1958) sur le bombardement de représailles d’un village tunisien en réponse à l’attaque d’un avion français. C’est tout et c’est peu. Il est vrai qu’il est difficile d’imaginer deux personnalités aussi dissemblables. Cela avait pourtant bien commencé : en décembre 1932, deux phrases (pourtant réticentes) de Mauriac sur Voyage dans le très lu Écho de Paris ¹, suivies apparemment d’une lettre plus sensible, lui avaient valu une belle réponse : « Vous venez de si loin pour me tendre la main qu’il faudrait être bien sauvage pour ne pas être ému par votre lettre. » ² Les choses s’envenimèrent par la suite. Mauriac, quoique partisan de la clémence envers les épurés, exprima des jugements hérissant Céline. Belle lettre d’insultes en retour : « Oh Canaille mais oui vous êtes ! Canaille par tartufferie, messes noires, ou connerie on ne sait ! ». Il lui envoie aussi une virulente dédicace au verso d’une reproduction du dessin de L’Illustré National. Avec une allusion à la fameuse dédicace au lieutenant Heller de la Propagandastaffel. Avant-guerre, Ramón Fernandez avait emmené Mauriac rue Lepic rencontrer l’auteur de Voyage. Répulsion instinctive : « Il faisait mante !… exactement !… (…) des gestes d’insecte… » Il le verra surtout « bicot de race ». Le fait que Mauriac critiquait dans L’Express la politique coloniale de la France n’arrangea pas les choses. Mais Céline n’avait-il pas déjà tout dit en 1933 ? « Rien ne nous rapproche, rien ne peut nous rapprocher ; vous appartenez à une autre espèce. »
• François MAURIAC, Le Bloc-notes, 1952-1962 & 1963-1970, Robert Laffont / Mollat, coll. “Bouquins”, 2020, 2 volumes de 1290 & 1324 pages, index, préface de Jean-Luc Barré, édition établie et annotée par Jean Touzot.
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Parution du n°434 du Bulletin célinien
Sommaire :
Isak Grünberg, premier traducteur de Céline en allemand [II]
Christian Prigent et Céline
Quand André Balland voulait rééditer les pamphlets
Charles-Antoine Cardot nous a quittés
Céline dans Les Lettres françaises (suite)
Henri Guillemin face à Céline
Nos amis écrivent…
Le livre part d’un constat : tous les classiques de la littérature ont un jour été portés à l’écran. …Sauf Voyage au bout de la nuit. Émile Brami, qui connaît bien le sujet pour l’avoir déjà traité dans la revue Études céliniennes, lui consacre un petit volume illustré d’une quarantaine de photographies. Dans la première partie, il retrace toutes les tentatives avortées d’adaptation au cinéma. La presse des années trente est truffée d’échos comme celui-ci :
« Louis-Ferdinand Céline est parti mercredi pour l’Amérique par le Champlain. L’auteur de Voyage au bout de la nuit est attendu par les milieux littéraires de New York où la traduction de son livre connaît un vif succès. De là, L.-F. Céline partira par avion pour Hollywood afin de s’occuper de la mise en scène de son ouvrage dont Jacques Deval vient de négocier l’adaptation avec une firme d’éditions cinématographiques » (Le Populaire, 22 juin 1934).
Hélas pour Céline, ce projet ne verra pas le jour. Mais sans doute en est-il mieux ainsi. Michel Audiard, qui caressa longtemps l’espoir d’adapter Voyage, se félicitait finalement que le film n’eût jamais vu le jour : « …La littérature à ce niveau-là, on ne peut que saloper le coup. » La force et l’originalité du roman vient en effet de son écriture, d’où la difficulté de la transposition. Les autres livres de Céline n’ont pas davantage été adaptés à l’écran. Or, comme le rappelle l’auteur, les tentatives furent nombreuses : de Fellini à Leone en passant par Gance, Duvivier, Autant-Lara, Godard, Pialat, Dupeyron et tant d’autres. Émile Brami se penche sur les raisons qui rendent toute adaptation de Voyage périlleuse, ainsi que sur la possibilité d’adapter les autres romans de l’auteur. Restent les transpositions visuelles alternatives, telle la bande-dessinée même si les tentatives ne furent pas toujours concluantes. Jacques Tardi opta d’ailleurs pour l’illustration alors qu’antérieurement il adapta avec bonheur d’autres romans. Ce dont on est certain c’est que Céline, lui, avait tiré les leçons du cinéma : « Les écrivains d’aujourd’hui ne savent pas encore que le cinéma existe !… et que le cinéma a rendu leur façon d’écrire ridicule et inutile… péroreuse et vaine !… (…) leurs romans ne sont plus que des scénarios plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !… » On sait qu’il appréciait surtout le cinéma muet. Cela remontait à l’époque où sa grand-mère, Céline Guillou, l’emmenait voir Le Voyage dans la lune de Méliès. Il révérait aussi Max Linder, Buster Keaton et Chaplin (celui d’avant le cinéma parlant). Plus tard, il fréquenta le milieu du cinéma au point de faire une figuration dans un film de Jacques Deval, Tovaritch (1935), tiré de sa pièce éponyme. Deux ans plus tard, l’auteur de Bagatelles pour un massacre polémiquait avec Jean Renoir dont il détestait La Grande Illusion ainsi que, d’une manière générale, le progressisme bêtifiant que l’on retrouve dans les films français des années trente. C’est aussi dans ce pamphlet que l’on trouve un portrait féroce, “avant la lettre”, de Harvey Weinstein, figure emblématique de ce que Céline nommait « Hollywood la juive ». Émile Brami cite d’ailleurs un large extrait de Bagatelles qui en témoigne. C’est dire si son livre est exhaustif.
• Émile BRAMI. Louis-Ferdinand Céline et le cinéma (Voyage au bout de l’écran), Écriture, 2020, 208 p., ill., index des noms cités.
On regrette l’absence d’une bibliographie qui recenserait les études antérieures sur le sujet, dont celles d’Éric Mazet (Études céliniennes, 2009 & L’Année Céline 2013 & 2014), d’Alain Cresciucci (Céline à l’épreuve, 2016) et d’Alain et Odette Virmaux (Cinématographe, novembre 1986).
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Parution du n°432 du "Bulletin célinien"
Sommaire :
Clément Camus et Albert Paraz
Le cuirassier à Rambouillet
Céline dans Excelsior
« Il était très cultivé. Il avait énormément lu, avait beaucoup retenu et savait beaucoup de choses, presque sur tout », disait l’un de ses proches. Publiquement Céline s’est peu confié sur ses lectures. Lui rendant visite à Montmartre, un confrère évoquait « les bouquins dissimulés comme chez de vieux paysans qui lisent, mais croiraient se révéler dangereusement en laissant connaître leurs lectures. » Durant sa vie professionnelle ainsi que les dernières années, il dira n’avoir pas le temps de lire. Ce qui était alors vrai ne le fut pas à d’autres périodes : Londres (où il lit Hegel, Fichte, Nietzsche et Schopenhauer !), l’Afrique et naturellement le Danemark, en particulier les dix-huit mois de réclusion. Si à la fin de sa vie, il cite invariablement Barbusse, Morand et Ramuz pour la raison que l’on sait, il a bien d’autres admirations : Vallès (« l’homme de tous les écrivains que j’admire le plus ») et, pour les anciens, Villon, La Fontaine ou Chateaubriand. Parfois son jugement évolue avec le temps. Le cas le plus notable est évidemment Proust tant daubé dans les années trente et suivantes. Et qualifié de « dernier grand écrivain de notre génération » à la fin. Ces évolutions sont prises en compte dans ce dictionnaire dont la lecture constitue un régal tant les commentaires donnent à réfléchir sur la complexité d’un homme que certains ont trop vite qualifié de fruste. Se dessine, au contraire, le portrait de quelqu’un de cultivé et – lorsqu’il n’est pas aveuglé par ses phobies – de perspicace. Ce dictionnaire, merveille de précision et de rigueur, constitue une contribution capitale à la connaissance d’un écrivain qui a beaucoup lu et beaucoup retenu. Ouvrage de référence sur les sources et lectures de l’écrivain, il est appelé à figurer dans la bibliothèque de tout célinien digne de ce nom.
• Laurent SIMON & Jean-Paul LOUIS, La Bibliothèque de Louis-Ferdinand Céline (Dictionnaire des écrivains et des œuvres cités par Céline dans ses écrits et ses entretiens), Du Lérot, 2020, 2 volumes de 376 et 384 p., ill.
► Deux précisions : a) il est erroné d’écrire qu’André Thérive « ne fit que quelques allusions à Céline » dans l’hebdomadaire Paroles françaises puisqu’il fut, en 1950, l’un des très rares critiques à consacrer un grand article à Casse-pipe (repris dans le BC de juillet-août 2015) ; b) Il existe une photographie (fonds Sygma) de l’écrivain debout devant sa bibliothèque à Meudon (reproduite en 1979 dans le supplément iconographique de feu La Revue célinienne). Sur l’original de ce cliché (que nous n’avons malheureusement plus), on distingue nettement plusieurs titres. Il s’y trouve notamment plusieurs ouvrages médicaux et un livre de… Roger Vailland (!).
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par Nicolas Bonnal
Ex: https://voxnr.com
Avant d’étudier Bernays on rappellera Céline. Apparemment, tout les oppose, mais sur l’essentiel ils sont d’accord : le monde moderne nous conditionne…
« Nous disions qu’au départ, tout article à « standardiser »: vedette, écrivain, musicien, politicien, soutien-gorge, cosmétique, purgatif, doit être essentiellement, avant tout, typiquement médiocre. Condition absolue. Pour s’imposer au goût, à l’admiration des foules les plus abruties, des spectateurs, des électeurs les plus mélasseux, des plus stupides avaleurs de sornettes, des plus cons jobardeurs frénétiques du Progrès, l’article à lancer doit être encore plus con, plus méprisable qu’eux tous à la fois. »
Bernays… C’est un des personnages les plus importants de l’histoire moderne, et on ne lui a pas suffisamment rendu hommage ! Il est le premier à avoir théorisé l’ingénierie du consensus et la définition du despotisme éclairé.
Edouard Bernays est un expert en contrôle mental et en conditionnement de masse. C’est un neveu viennois de Freud, et comme son oncle un lecteur de Gustave Le Bon. Il émigre aux États-Unis, sans se préoccuper de ce qui va se passer à Vienne… Journaliste (dont le seul vrai rôle est de créer une opinion, de l’in-former au sens littéral), il travaille avec le président Wilson au Committee on Public Information, au cours de la première Guerre Mondiale. Dans les années Vingt, il applique à la marchandise et à la politique les leçons de la guerre et du conditionnement de masse ; c’est l’époque du spectaculaire diffus, comme dit Debord. A la fin de cette fascinante et marrante décennie, qui voit se conforter la société de consommation, le KKK en Amérique, le fascisme et le bolchévisme en Europe, le surréalisme et le radicalisme en France, qui voit progresser la radio, la presse illustrée et le cinéma, Bernays publie un très bon livre intitulé Propagande (la première congrégation de propagande vient de l’Eglise catholique, créée par Grégoire XV en 1622) où le plus normalement et le plus cyniquement du monde il dévoile ce qu’est la démocratie américaine moderne : un simple système de contrôle des foules à l’aide de moyens perfectionnés et primaires à la fois ; et une oligarchie, une cryptocratie plutôt où le sort de beaucoup d’hommes, pour prendre une formule célèbre, dépend d’un tout petit nombre de technocrates et de faiseurs d’opinion. C’est Bernays qui a imposé la cigarette en public pour les femmes ou le bacon and eggsau petit déjeuner par exemple : dix ans plus tard les hygiénistes nazis, aussi forts que lui en propagande (et pour cause, ils le lisaient) interdisent aux femmes de fumer pour raisons de santé. Au cours de la seconde guerre mondiale il travaille avec une autre cheville ouvrière d’importance, Walter Lippmann.
Avec un certain culot (une certaine chutzpah ?), Bernays dévoile les arcanes de notre société de consommation. Elle est conduite par une poignée de dominants, de gouvernants invisibles. Rétrospectivement on trouve cette confession un rien provocante et –surtout – imprudente. A moins qu’il ne s’agît à l’époque pour ce fournisseur de services d’épater son innocente clientèle américaine ?
“Oui, des dirigeants invisibles contrôlent les destinées de millions d’êtres humains. Généralement, on ne réalise pas à quel point les déclarations et les actions de ceux qui occupent le devant de la scène leur sont dictées par d’habiles personnages agissant en coulisse.”
Bernays reprend l’image fameuse de Disraeli dans Coningsby: l’homme-manipulateur derrière la scène. C’est l’image du parrain, en fait un politicien, l’homme tireur de ficelles dont l’expert russe Ostrogorski a donné les détails et les recettes dans son classique sur les partis politiques publié en 1898, et qui est pour nous supérieur aux Pareto-Roberto Michels. Nous sommes dans une société technique, dominés par la machine (Cochin a récupéré aussi l’expression d’Ostrogorski) et les tireurs de ficelles, ou wire-pullers (souvenez-vous de l’affiche du Parrain, avec son montreur de marionnettes) ; ces hommes sont plus malins que nous, Bernays en conclut qu’il faut accepter leur pouvoir. La société sera ainsi plus smooth. On traduit ?
Comme je l’ai dit, Bernays écrit simplement et cyniquement. On continue donc:
“Les techniques servant à enrégimenter l’opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente.”
La complexité suppose des élites techniques, les managers dont parle Burnham dans un autre classique célèbre (l’ère des managers, préfacé en France par Léon Blum en 1946). Il faut enrégimenter l’opinion, comme au cours de la première guerre mondiale, qui n’aura servi qu’à cela : devenir communiste, anticommuniste, nihiliste, consommateur ; comme on sait le nazisme sera autre chose, d’hypermoderne, subtil et fascinant, avec sa conquête spatiale et son techno-charisme – modèle du rock moderne (lisez ma damnation des stars).
L’ère des masses est aussi très bien décrite – mais pas comprise – par Ortega Y Gasset (il résume tout dans sa phrase célèbre ; « les terrasses des cafés sont pleines de consommateurs »…). Et cette expression, ère des masses, traduit tristement une standardisation des hommes qui acceptent humblement de se soumettre et de devenir inertes (Tocqueville, Ostrogorski, Cochin aussi décrivaient ce phénomène).
“Nous acceptons que nos dirigeants et les organes de presse dont ils se servent pour toucher le grand public nous désignent les questions dites d’intérêt général ; nous acceptons qu’un guide moral, un pasteur, par exemple, ou un essayiste ou simplement une opinion répandue nous prescrivent un code de conduite social standardisé auquel, la plupart du temps, nous nous conformons.”
Pour Bernays bien sûr on est inerte quand on résiste au système oppressant et progressiste (le social-corporatisme dénoncé dans les années 80 par Minc & co).
La standardisation décrite à cette époque par Sinclair Lewis dans son fameux Babbitt touche tous les détails de la vie quotidienne : Babbitt semble un robot humain plus qu’un chrétien (il fait son Church-shopping à l’américaine d’ailleurs), elle est remarquablement rendue dans le cinéma comique de l’époque, ou tout est mécanique, y compris les gags. Bergson a bien parlé de ce mécanisme plaqué sur du vivant. Il est favorisé par le progrès de la technique :
« Il y a cinquante ans, l’instrument par excellence de la propagande était le rassemblement public. À l’heure actuelle, il n’attire guère qu’une poignée de gens, à moins que le programme ne comporte des attractions extraordinaires. L’automobile incite nos compatriotes à sortir de chez eux, la radio les y retient, les deux ou trois éditions successives des quotidiens leur livrent les nouvelles au bureau, dans le métro, et surtout ils sont las des rassemblements bruyants. »
La capture de l’esprit humain est l’objectif du manipulateur d’opinion, du spécialiste en contrôle mental, cet héritier du magicien d’Oz.
“La société consent à ce que son choix se réduise aux idées et aux objets portés à son attention par la propagande de toute sorte. Un effort immense s’exerce donc en permanence pour capter les esprits en faveur d’une politique, d’un produit ou d’une idée.”
Concernant la première guerre mondiale, Bernays “révise” simplement l’Histoire en confiant que la croisade des démocraties contre l’Allemagne s’est fondée sur d’habituels clichés et mensonges ! Il a d’autant moins de complexes que c’est lui qui a mis cette propagande au point…
“Parallèlement, les manipulateurs de l’esprit patriotique utilisaient les clichés mentaux et les ressorts classiques de l’émotion pour provoquer des réactions collectives contre les atrocités alléguées, dresser les masses contre la terreur et la tyrannie de l’ennemi. Il était donc tout naturel qu’une fois la guerre terminée, les gens intelligents s’interrogent sur la possibilité d’appliquer une technique similaire aux problèmes du temps de paix.”
On n’a jamais vu un cynisme pareil. Machiavel est un enfant de chœur. La standardisation s’applique bien sûr à la politique. Il ne faut pas là non plus trop compliquer les choses, écrit Bernays. On a trois poudres à lessive pour laver le linge, qui toutes appartiennent à Procter & Gamble (les producteurs de soap séries à la TV) ou à Unilever ; et bien on aura deux ou trois partis politiques, et deux ou trois programmes simplifiés !
Bernays reprend également l’expression de machine de Moïse Ostrogorski (voir notre chapitre sur ce chercheur russe, qui disséqua et désossa l’enfer politique américain), qui décrit l’impeccable appareil politique d’un gros boss. La machine existe déjà chez le baroque Gracian. Ce qui est intéressant c’est de constater que la mécanique politique – celle qui a intéressé Cochin – vient d’avant la révolution industrielle. Le motindustriedésigne alors l’art du chat botté de Perrault, celui de tromper, d’enchanter – et de tuer ; l’élite des chats bottés de la politique, de la finance et de l’opinion est une élite d’experts se connaissant, souvent cooptés et pratiquant le prosélytisme. Suivons le guide en conspiration !
“Il n’en est pas moins évident que les minorités intelligentes doivent, en permanence et systématiquement, nous soumettre à leur propagande. Le prosélytisme actif de ces minorités qui conjuguent l’intérêt égoïste avec l’intérêt public est le ressort du progrès et du développement des États-Unis. Seule l’énergie déployée par quelques brillants cerveaux peut amener la population tout entière à prendre connaissance des idées nouvelles et à les appliquer.”
Comme je l’ai dit, cette élite n’a pas besoin de prendre de gants, pas plus qu’Edouard Bernays. Il célèbre d’ailleurs son joyeux exercice de style ainsi :
“Les techniques servant à enrégimenter l’opinion ont été inventées puis développées au fur et à mesure que la civilisation gagnait en complexité et que la nécessité du gouvernement invisible devenait de plus en plus évidente.”
La démocratie a un gouvernement invisible qui nous impose malgré nous notre politique et nos choix. Si on avait su…
Après la Guerre, Bernays inspire le méphitique Tavistock Institute auquel Daniel Estulin a consacré un excellent et paranoïaque ouvrage récemment.
Mais en le relisant, car cet ouvrage est toujours à relire, je trouve ces lignes définitives sur l’organisation conspirative de la vie politique et de ses partis :
« Le gouvernement invisible a surgi presque du jour au lendemain, sous forme de partis politiques rudimentaires. Depuis, par esprit pratique et pour des raisons de simplicité, nous avons admis que les appareils des partis restreindraient le choix à deux candidats, trois ou quatre au maximum. »
Et cette conspiration était n’est-ce pas très logique, liée à l’esprit pratique et à la simplicité :
« Les électeurs américains se sont cependant vite aperçus que, faute d’organisation et de direction, la dispersion de leurs voix individuelles entre, pourquoi pas, des milliers de candidats ne pouvait que produire la confusion ».
Pour le grand Bernays il n’y a de conspiration que logique. La conspiration n’est pas conspirative, elle est indispensable. Sinon tout s’écroule. L’élite qu’il incarne, et qui œuvre d’ailleurs à l’époque de Jack London, ne peut pas ne pas être. Et elle est trop souple et trop liquide pour se culpabiliser. N’œuvre-t-elle pas à la réconciliation franco-allemande après chaque guerre qu’elle a contribué à déclencher, et que la Fed a contribué à financer au-delà des moyens de tous ?
Elle est aussi innocente que l’enfant qui vient de naître.
Un qui aura bien pourfendu Bernays sans le savoir dans ses pamphlets est Louis-Ferdinand Céline. Sur la standardisation par exemple, voici ce qu’il écrit :
« Standardisons! le monde entier! sous le signe du livre traduit! du livre à plat, bien insipide, objectif, descriptif, fièrement, pompeusement robot, radoteur, outrecuidant et nul. »
Et d’ajouter sur un ton incomparable et une méchanceté inégalable :
« le livre pour l’oubli, l’abrutissement, qui lui fait oublier tout ce qu’il est, sa vérité, sa race, ses émotions naturelles, qui lui apprend mieux encore le mépris, la honte de sa propre race, de son fond émotif, le livre pour la trahison, la destruction spirituelle de l’autochtone, l’achèvement en somme de l’œuvre bien amorcée par le film, la radio, les journaux et l’alcoolisme. »
La standardisation (j’écris satan-tardisation…) rime avec la mort (mais n’étions-nous pas morts avant, cher Ferdinand ? Vois Drumont, Toussenel même, ce bon Cochin, ce génial Villiers…). Le monde est mort, et on a pu ainsi le réifier et le commercialiser ;
« Puisque élevés dans les langues mortes ils vont naturellement au langage mort, aux histoires mortes, à plat, aux déroulages des bandelettes de momies, puisqu’ils ont perdu toute couleur, toute saveur, toute vacherie ou ton personnel, racial ou lyrique, aucun besoin de se gêner! Le public prend ce qu’on lui donne. Pourquoi ne pas submerger tout! simplement, dans un suprême effort, dans un coup de suprême culot, tout le marché français, sous un torrent de littérature étrangère? Parfaitement insipide?… »
Divaguons sur ce thème de la civilisation mortelle – et sortons du Valéry pour une fois. A la même époque Drieu la Rochelle écrivait dans un beau libre préfacé par Halévy, Mesure de la France :
« Il n’y a plus de conservateurs, de libéraux, de radicaux, de socialistes. Il n’y a plus de conservateurs, parce qu’il n’y a plus rien à conserver. Religion, famille, aristocratie, toutes les anciennes incarnations du principe d’autorité, ce n’est que ruine et poudre. »
Puis Drieu enfonce plus durement le clou (avait-il déjà lu Guénon ?) :
« Tous se promènent satisfaits dans cet enfer incroyable, cette illusion énorme, cet univers de camelote qui est le monde moderne où bientôt plus une lueur spirituelle ne pénétrera. »
Le gros shopping planétaire est mis en place par la matrice américaine, qui va achever de liquider la vieille patrie prétentieuse :
« Il n’y a plus de partis dans les classes, plus de classes dans les nations, et demain il n’y aura plus de nations, plus rien qu’une immense chose inconsciente, uniforme et obscure, la civilisation mondiale, de modèle européen. »
Drieu affirme il y a cent ans que le catholicisme romain est zombie :
« Le Vatican est un musée. Nous ne savons plus bâtir de maisons, façonner un siège où nous y asseoir. A quoi bon défendre des banques, des casernes, et les Galeries Lafayette ? »
Enfin, vingt ans avant Heidegger ou Ellul, Drieu désigne la technique et l’industrie comme les vrais conspirateurs :
« Il y aura beaucoup de conférences comme celle de Gênes où les hommes essaieront de se guérir de leur mal commun : le développement pernicieux, satanique, de l’aventure industrielle. »
Revenons à Céline, qui avec ferveur et ire dépeint la faune nouvelle de l’art pour tous :
« Les grands lupanars d’arts modernes, les immenses clans hollywoodiens, toutes les sous-galères de l’art robot, ne manqueront jamais de ces saltimbanques dépravés… Le recrutement est infini. Le lecteur moyen, l’amateur rafignolesque, le snob cocktailien, le public enfin, la horde abjecte cinéphage, les abrutis-radios, les fanatiques envedettés, cet international prodigieux, glapissant, grouillement de jobards ivrognes et cocus, constitue la base piétinable à travers villes et continents, l’humus magnifique le terreau miraculeux, dans lequel les merdes publicitaires vont resplendir, séduire, ensorceler comme jamais. »
Et de conclure avec son habituelle outrance que l’époque de l’inquisition et des gladiateurs valait bien mieux :
« Jamais domestiques, jamais esclaves ne furent en vérité si totalement, intimement asservis, invertis corps et âmes, d’une façon si dévotieuse, si suppliante.
Rome? En comparaison?… Mais un empire du petit bonheur! une Thélème philosophique! Le Moyen Age?… L’Inquisition?… Berquinades! Epoques libres! d’intense débraillé! d’effréné libre arbitre! le duc d’Albe? Pizarro? Cromwell? Des artistes! »
Dans son très bon livre sur Spartacus, l’écrivain juif communiste Howard Fast établit lui aussi un lien prégnant entre la décadence impériale et son Amérique ploutocratique. C’est que l’homme postmoderne et franchouillard a du souci à se faire (ce que Léon Bloy nommait sa capacité bourgeoise à avaler – surtout de la merde) :
« Plus c’est cul et creux, mieux ça porte. Le goût du commun est à ce prix. Le « bon sens » des foules c’est : toujours plus cons. L’esprit banquiste, il se finit à la puce savante, achèvement de l’art réaliste, surréaliste. Tous les partis politiques le savent bien. Ce sont tous des puciers savants. La boutonneuse Mélanie prend son coup de bite comme une reine, si 25.000 haut-parleurs hurlent à travers tous les échos, par-dessus tous les toits, soudain qu’elle est Mélanie l’incomparable… Un minimum d’originalité, mais énormément de réclame et de culot. L’être, l’étron, l’objet en cause de publicité sur lequel va se déverser la propagande massive, doit être avant tout au départ, aussi lisse, aussi insignifiant, aussi nul que possible. La peinture, le battage-publicitaire se répandra sur lui d’autant mieux qu’il sera plus soigneusement dépourvu d’aspérités, de toute originalité, que toutes ses surfaces seront absolument planes. Que rien en lui, au départ, ne peut susciter l’attention et surtout la controverse. »
Et comme s’il avait lu et digéré Bernays Céline ajoute avec le génie qui caractérise ses incomparables pamphlets :
« La publicité pour bien donner tout son effet magique, ne doit être gênée, retenue, divertie par rien. Elle doit pouvoir affirmer, sacrer, vociférer, mégaphoniser les pires sottises, n’importe quelle himalayesque, décervelante, tonitruante fantasmagorie… à propos d’automobiles, de stars, de brosses à dents, d’écrivains, de chanteuses légères, de ceintures herniaires, sans que personne ne tique… ne s’élève au parterre, la plus minuscule naïve objection. Il faut que le parterre demeure en tout temps parfaitement hypnotisé de connerie.
Le reste, tout ce qu’il ne peut absorber, pervertir, déglutir, saloper standardiser, doit disparaître. C’est le plus simple. Il le décrète. Les banques exécutent. Pour le monde robot qu’on nous prépare, il suffira de quelques articles, reproductions à l’infini, fades simulacres, cartonnages inoffensifs, romans, voitures, pommes, professeurs, généraux, vedettes, pissotières tendancieuses, le tout standard, avec énormément de tam-tam d’imposture et de snobisme La camelote universelle, en somme, bruyante, juive et infecte… »
Et de poursuivre sa belle envolée sur la standardisation :
« Le Standard en toutes choses, c’est la panacée. Plus aucune révolte à redouter des individus pré-robotiques, que nous sommes, nos meubles, romans, films, voitures, langage, l’immense majorité des populations modernes sont déjà standardisés. La civilisation moderne c’est la standardisation totale, âmes et corps. »
La violence pour finir :
« Publicité ! Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l’or et devant la merde !… Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune foule n’eut jamais dans toutes les pires antiquités… Du coup, on la gave, elle en crève… Et plus nulle, plus insignifiante est l’idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le cœur des foules… mieux la publicité s’accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l’idolâtrie… Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. »
Céline est incomparable quand il s’attaque à la foule, lamentable quand il reprend le lemme du juif comme missionnaire du mal dans le monde moderne. Mais c’est cette folie narrative qui crée la tension géniale de son texte. De toute manière, ce n’est pas notre sujet. Et puis c’est Disraeli et c’est Bernays qui ont joué à l’homme invisible un peu trop visible. Comme dit Paul Johnson dans sa fameuse Histoire des Juifs (p. 329): “Thus Disraeli preached the innate superiority of certain races long before the social Darwinists made it fashionable, or Hitler notorious.”
Nicolas Bonnal – Littérature et conspiration (Dualpha, Amazon.fr)
Frédéric Bernays – Propagande
Céline – Bagatelles…
Drieu la Rochelle – Mesure de la France
Johnson (Paul) – A History of the Jews
12:02 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, propagande, edward bernays, louis-ferdinand céline, standardisation | | del.icio.us | | Digg | Facebook